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n’emploiera pas la violence dans une œuvre de raison pure. « Créez, dit-il, des assurances contre les faillites, contre le chômage, contre la misère, etc. ; supposez que gouvernement ou la société soit l’assureur, et vous arriverez à la communauté. »

On conçoit la séduction qu’un si beau rêve dut exercer sur les travailleurs. Pierre Leroux nous dit qu’ils crurent dans l’avènement du communisme icarien comme les croyants aux promesses de leur religion. Il reconnaît à Cabet le grand mérite d’avoir donné un idéal aux « tailleurs, aux cordonniers, aux pauvres non lettrés, aux déshérités, comme on s’est habitué à les appeler ». Et il s’écrie : « Est-ce que la Révolution de 1848 a ressemblé à celle de 1793, ou même de 1789 ? »

À qui le doit-on ? demanda-t-il. Qui a empêché les violences ? « C’est nous, répond-il, et, au début, c’est Cabet principalement, parce qu’il était dans un rapport intime avec la classe ouvrière. C’est Cabet qui, ayant fait luire aux yeux des masses l’idée constante et pacificatrice d’une société fraternelle, leur rendit odieuse la seule idée d’une révolution où l’on employerait la guillotine et la lanterne. »

Il est certain que si les socialistes avaient, en 1848, employé les moyens terroristes, la révolution ne leur eût pas moins échappé puisqu’ils avaient contre eux l’absolu de leurs doctrines opposées en même temps que l’ignorance profonde du prolétariat de cette époque. Mais revenons à 1843.

En somme, à cette époque, la masse du parti communiste était groupée autour du Populaire. Henri Heine constate, dans ses promenades du quartier Saint-Marceau, que la plupart des ouvriers qu’il voit, avec lesquels il entre en conversation, sont communistes, lisent les ouvrages de Buonarotti et de Cabet. Au banquet réformiste organisé par Dézamy et Pillot, nous savons qu’ils se sont trouvés réunis au nombre de douze cents. Cabet travaillait à gagner également la province. Un procès ayant été intenté aux communistes de Toulouse, il y allait, sur l’invitation des actionnaires du Populaire, et les défendait devant la Cour d’assises. Nous venons de voir que Proudhon a signalé sa présence à Lyon. Il y alla en effet deux fois pour faciliter l’union entre les adhérents et faire de la propagande parmi les autres travailleurs.

Proudhon, à cette époque, déclare « connaître personnellement à Lyon et dans la banlieue plus de deux cents de ces apôtres (membres des sociétés secrètes devenus les commis-voyageurs d’une réforme qui aspire à embrasser le monde) qui tous font la mission en travaillant ». Il exagère un peu lorsqu’il ajoute qu’ « en 1838 il n’y avait pas à Lyon un seul socialiste », et il accepte une exagération égale lorsqu’il se laisse affirmer « qu’ils sont aujourd’hui (1844) plus de dix mille ». Mais il est certain qu’à cette époque, l’activité des communistes lyonnais est très grande. « Des bibliothèques se forment au moyen de collectes, dit Proudhon ; il y a même des réunions pour les fem-