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déré cette loi adoptée par lui comme « la plus raisonnable, la plus utile » ; il l’a faite « dans l’intérêt de sa santé et du bon ordre dans le travail ». Aussi, cette loi est-elle « la mieux exécutée ».

En matière religieuse, les Icariens sont libres relativement. Il y a cependant un culte public. « Nous avons, dit l’Icarien qui pilote le voyageur, des prêtresses pour les femmes comme des prêtres pour les hommes. » Et lorsqu’il y a un différend dans le ménage icarien, « le prêtre ou la prêtresse vient quelquefois joindre l’autorité de sa parole aux tendres exhortations de la famille pour encourager les époux à chercher leur bonheur ou du moins la paix dans la vertu ».

Puisque, pour Cabet, c’est l’organisation vicieuse de la société qui produit les criminels, il va de soi qu’en Icarie le crime est une exception monstrueuse. La science moderne confirme de plus en plus cette notion, reçue par Cabet de la philosophie rationaliste du dix-huitième siècle, qui crut justement au double pouvoir de l’éducation et du milieu social sur la formation des caractères. Mais il pourrait se trouver, même en Icarie, « quelque brutal dont la violence menaçât la sécurité publique ». S’il existait « une bête de cette espèce », dit Cabet, on la « traiterait » dans un hospice, et si la « jalousie d’amour » poussait quelque malheureux au crime, « on traiterait le meurtrier comme un fou ».

Il y a des tribunaux, cependant, en Icarie, pour juger les infractions à l’ordre établi. La fonction de juge n’est pas spécialisée dans un corps professionnel, mais exercée par tous les citoyens. Les pénalités sont ordinairement morales : « la déclaration du délit par le tribunal, la censure, la publicité du jugement plus ou moins étendue. » Pour les délits plus graves, le tribunal prononce « la privation de certains droits dans l’école ou dans l’atelier, ou dans la commune, l’exclusion plus ou moins longue de certains lieux publics, même de la maison, des citoyens ».

L’Icarie, si heureuse sous ce régime d’égalité et de vertu, entend-elle jouir égoïstement des bienfaits qu’il lui procure ? Que non pas ! Cabet, dans son roman, nous raconte les séances du Congrès universel, réuni sur l’initiative de la République icarienne, « où furent proclamés la paix, le désarmement général, la fraternité des peuples, la liberté du commerce d’importation et d’exportation, l’abolition des douanes, même la suppression sur les monuments publics de tous les emblèmes qui, dans chaque nation, rappelaient aux autres nations l’humiliant souvenir de leurs défaites ». Il ajoute que « ce premier congrès organisa même une confédération et un congrès fédéral annuel ».

Comment établir ce régime d’égalité et de paix fraternelle entre les individus et les peuples ? Nous savons déjà que Cabet est contre l’emploi de la force. À ceux qui lui demandent son avis sur l’utilité des révolutions, il répond nettement : « Ni violence, ni révolution, par conséquent ni conspiration, ni attentat. » On mettra trente ans, cinquante ans, cent ans s’il le faut, mais on