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fondé une colonie selon le principe de la communauté absolue du sol et de tous les instruments de travail. Lorsque le voyageur qui va nous le décrire y aborde, le système communiste a donné tous ses fruits bienfaisants, et on marche d’étonnements en émerveillements. Dans ce cadre très simple, imité du Voyage de Bougainville et de tant d’autres, imité par tant d’autres depuis, Cabet décrit tous les avantages du communisme, réfute toutes les objections de ses adversaires présentées par le voyageur.

Icarie repose sur l’agriculture, car le premier besoin de l’homme est de se nourrir. Mais l’industrie y est aussi très développée et la division du travail et les machines simplifient les tâches. L’argent est inconnu en Icarie. Chacun travaille selon ses forces et va prendre au magasin ce qui lui est nécessaire ; le contrôle de l’opinion publique suffit à l’empêcher de ne pas travailler, comme de prendre plus qu’il n’est raisonnable des produits communs.

Cabet ne touche pas à l’organisation de la famille. Certes, la femme est libre en Icarie, puisqu’elle participe comme l’homme à la production, mais l’organisation familiale n’a reçu aucune atteinte de cette émancipation de la femme. Le mariage, cependant, n’est pas indissoluble, mais les époux qui n’y ont pas trouvé le bonheur forment le petit nombre. À ceux-là, la République icarienne « offre le divorce quand leur famille le juge indispensable ». On le voit, Cabet maintient si fort l’organisation familiale qu’il ne laisse pas, même aux époux en désaccord, mais à leurs parents, le soin de dénouer l’union mal assortie.

Si le divorce présente de telles difficultés, il semble que les époux mal mariés doivent se rattraper sur l’adultère. N’en croyez rien. En Icarie, l’opinion est toute-puissante et « la République a tout disposé pour que le concubinage et l’adultère fussent matériellement impossibles ; car, avec la vie de famille et la composition des villes, où l’adultère pourrait-il trouver asile ? » L’optimisme de Cabet vient de la puissance qu’il attribue à l’opinion publique dans une société fraternelle. Nous pouvons en sourire, mais il faut cependant reconnaître qu’il voit juste, en principe, en accordant une telle importance à l’opinion. Seulement, on a observé que le propre du progrès social est précisément de libérer l’individu des servitudes d’opinion et de le mettre à même d’agir pour se conformer non à l’usage, mais à sa raison.

Dans le rigide cadre familial d’Icarie l’homme et la femme sont d’ailleurs égaux devant la morale, devant l’opinion, devant le travail. Le père, n’étant plus le nourricier de la famille, puisque la femme travaille et que les enfants sont entretenus aux frais de la communauté, n’a plus aucune raison pour être un maître. Mais, dans la démocratie icarienne, la femme ne possède pas la personnalité civique, que Cabet, dans un dialogue, raille en ces termes :

« Vous voulez peut-être, monsieur le galant, que ce soit le mari qui obéisse à la femme ?

— Non, monsieur le plaisant, je vous trouverais ridicule alors, et je suis