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riat, ni son élite active partagée en communistes révolutionnaires avec le Égalitaires, en communistes pacifiques avec Cabet et en coopérateurs syndicalistes avec Buchez, Corbon et les rédacteurs de l’Atelier.

Ceux qui désiraient la conciliation, reprenaient amicalement Considérant sur ses allures autoritaires. « Vous avez raison de vouloir un pouvoir dictatorial, lui écrivait Le Moyne, mais il faut une dictature amicale et paternelle ; le despotisme est mauvais. » Gagneur, qui organisait à cette époque le parti républicain dans le Jura, adressait les mêmes observations à Considérant.

Quant aux dissidents, c’était sur un autre ton qu’ils parlaient du groupe des orthodoxes : « La constitution de ce groupe, écrivait Daurio, dans ses Observations critiques, est très curieuse, en ce que ce ne sont pas des membres d’un même corps, mais des meubles et vêtements à l’usage du luxe spirituel du chef… C’est ainsi qu’Amédée Paget sert de bonnet de coton, Cantagrel de fou à Sa Majesté, Madame… de marmite. (Le même livre accusait Considérant, à propos de son mariage avec la fille de madame Vigoureux, d’avoir braqué le nez sur le pot-au-feu familial, et d’être arrivé au « maximum proportionnel » en plaçant le casque à mèche de l’hyménée sur le front que couvrait le casque de Mars) ; et quant à B…, il servait de vide-poche, Daly de dessinateur d’ombres chinoises, M. Dulary de porte-bannière, Pellarin de clyson ; vous, Muiron, d’eunuque gardien du sérail de l’orthodoxie ; celui-ci de pantoufle, celui-là de porte-coton. » Les haines de secte engendrent dans tous les milieux les mêmes stupidités et les mêmes ignominies. Le milieu socialiste ne devait pas échapper à cette loi. Il n’y échappera que lorsqu’il se sera libéré de l’esprit sectaire qui anime encore un trop grand nombre de ses adhérents.

Malgré ces querelles, le fouriérisme grandissait. Les orthodoxes, beaucoup plus nombreux que les dissidents, pouvaient dédaigner leurs attaques et porter tout leur effort sur la propagande. À côté de la Phalange, ils avaient huit journaux en province. Considérant était élu, en 1843, membre du Conseil général de la Seine, et cette élection donnait un lustre de plus à son parti. À vrai dire, le mot de parti était impropre, quoique les phalanstériens l’employassent eux-mêmes, comme on l’a vu, pour désigner leur groupement, C’était toujours, et malgré le journal quotidien, malgré l’entrée de Considérant dans un corps élu, une école sociale, un milieu de propagande et d’essais de réalisation, puisqu’il n’abordait la politique que pour tirer des incidents du jour des confirmations et des arguments en faveur du système fouriériste, et non pour y pénétrer et la modifier.

La doctrine, avons-nous dit, se propageait à l’étranger : en Belgique, en Allemagne, en Suisse, en Autriche, en Espagne, en Portugal. Les phalanstériens du Brésil avaient un journal à Rio-de-Janeiro, le Socialista. Aux États-Unis, la propagande de Brisbane se mêlait à celle des sectes protestantes qui tendaient un retour à la vie chrétienne primitive, et fondaient dans ce but