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et d’autre part la liberté de réunion avait été de fait abolie dès les premières années de la monarchie de Juillet. La librairie sociétaire était plus encore que le journal, tout au moins avant 1843, l’organe vital de l’école, son centre d’activité. Il serait impossible d’établir ici la bibliographie fouriériste. Rien que de 1840 à 1843, il sortit de cette librairie trente-quatre livres ou brochures.

Tandis que Considérant y publiait une Exposition abrégée du système phalanstérien, une Défense du fouriérisme en réponse à Proudhon, Lamennais, Reybaud, Louis Blanc, etc., une brochure sur la politique générale et le rôle de la France en Europe, une autre contre Arago, une autre sur la question de la régence, une autre sur l’Immortalité de la doctrine de Ch. Fourier, ses collaborateurs ne chômaient pas.

C’étaient Édouard de Pompéry avec un volume, l’Exposé de la science sociale constituée par Ch. Fourier, et des mémoires lus dans un congrès scientifique ; Hippolyte Renaud avec une brochure de polémique sur le « monde phalanstérien » critiqué par un anonyme ; Cantagrel avec un roman de propagande intitulé le Fou du Palais-Royal et une étude sur les colonies agricoles de Mettray et Ostwald. Jean Leclaire, qui devait, vingt ans avant Godin à Guise, faire participer ses ouvriers aux bénéfices de son exploitation et finalement les associer dans l’entière propriété de cette exploitation, publiait en 1842, à la librairie sociétaire, des Dialogues sur la concurrence sans limites.

Citons encore, parmi les plus connus d’entre les fouriéristes qui écrivaient à cette époque : Albert Brisbane, qui fut l’apôtre du fouriérisme aux États-Unis, et essaya, comme il dit, « d’adapter la théorie à l’esprit du peuple de ce pays-ci » ; Mme Gatti de Gamond avec sa Réalisation d’une commune sociétaire ; Cabet avec les deux volumes de son Traité élémentaire de la science de l’homme ; Pellarin, avec son étude sur le Droit de propriété. La plupart de ces ouvrages avaient paru d’abord, au moins par fragments importants, dans la Phalange.

Classons à part Toussenel, qui écrit à ce moment son ouvrage sur les Juifs, rois de l’époque, que M. Édouard Drumont, dans sa passion antisémitique, appelle « un chef-d’œuvre impérissable ». Toussenel a hérité de l’animosité de Fourier contre les Juifs, qui voyait en eux à la fois les conservateurs de l’esprit familial et les plus actifs agents du commerce détesté. Il a vu se constituer la féodalité financière, où les saint-simoniens repentis surent se tailler une si belle part ; il a assisté à la formation des grandes compagnies de chemins de fer, des grands établissements de crédit, constaté le cosmopolitisme de la puissance nouvelle, et il a attribué tout ce mouvement historique à l’influence des Juifs.

La vérité est que, écartés pendant des siècles des fonctions publiques et de la propriété du sol, les Juifs avaient dû se réfugier dans le commerce,