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Tout cela s’était passé sous l’œil impassible, complice même, de la garde nationale et du pouvoir. Les historiens sont unanimes à constater que l’émeute fut dirigée par des chefs appartenant à la bourgeoisie. Ceux-ci voulaient donner une leçon aux carlistes et en même temps faire dériver sur eux l’agitation populaire entretenue par les républicains.

Avec une inconscience rare, l’archevêque de Paris, M. de Quelen, se prêta aux circonstances en autorisant la cérémonie de Saint-Germain l’Auxerrois, malgré l’avis que lui avait fait passer le ministre de l’Intérieur. Mais, ainsi que le dit M. Thureau-Dangin, ses sentiments monarchistes le rendaient, à l’égard du gouvernement, moins prompt à la conciliation que tel autre de ses collègues. D’autre part, on savait dans Paris que, lors de la prise d’Alger, dans le Te Deum à Notre-Dame, l’archevêque avait dit au roi Charles X, faisant allusion à la lutte engagée entre ses ministres et l’opinion : « Cette victoire est le présage d’une plus importante encore. »

Nous avons, de l’organisation méthodique qui présida au pillage et à la destruction de l’Archevêché, le témoignage précieux de Martin Nadaud, alors âgé de seize ans. Dans ses Mémoires de Léonard, où il raconte sa dure et laborieuse existence d’ouvrier maçon en même temps que sa longue et fructueuse propagande républicaine et syndicale. Nadaud narre ainsi les événements des 14 et 15 février :

« Parti de Saint-Germain l’Auxerrois, je me rappelle que des hommes mieux habillés que les ouvriers prenaient beaucoup de peine pour organiser cette manifestation ; on se mit à crier : « En rang et six hommes de front ! »

« Enfin, nous suivîmes les quais, nous traversâmes le pont Notre-Dame et la place du Parvis, puis nous arrivâmes devant la haute grille du palais. En un clin d’œil, elle fut escaladée, descellée et couchée à terre ; comme nous entrions dans une des premières pièces, notre regard se porta sur une jeune femme. L’entourer, la protéger, tout le monde aurait voulu s’y prêter ; on la conduisit, au milieu d’éclats de rire de cette foule, dans la boutique d’une fruitière peu éloignée de là, puis nous retournâmes à notre œuvre de destruction ; déjà, le petit bras de la rivière qui coulait au pied du palais était couvert de débris de meubles, de tables, de chaises et de matelas.

« Chose assez étrange, la garde nationale s’avançait au petit pas, passait devant nous, sans chercher à faire la moindre arrestation. Je m’échappai avec d’autres camarades sur un petit pont en bois qui nous conduisit vers l’île Saint-Louis. »

Entre autres récits, j’ai choisi celui-ci parce que, sans rien ajouter à ce qu’ils disent, il donne néanmoins avec une précision saisissante l’impression que ces émeutes furent organisées par la bourgeoisie pour détruire toute espérance de revanche dans l’esprit des vaincus des trois journées. Avec une amertume concevable et que nous ne pouvons nous empêcher de partager, bien que nous ne croyions pas comme lui à la nécessité sociale de la religion, Louis Blanc constate que « vers le même temps de pauvres ouvriers se rassemblèrent aux environs du Palais--