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Louis-Philippe et de sa famille, au château d’Eu. Lord Aberdeen l’accompagnait, et il eut pendant son séjour de fréquentes entrevues avec Guizot, mais il ne sortit de ces entretiens que de bonnes paroles. Au commencement de l’année, lors de la discussion de l’adresse, la Chambre avait une fois de plus manifesté sa répugnance pour le droit de visite en y inscrivant cette phrase : « Nous appelons de tous nos vœux le moment où notre commerce sera replacé sous la surveillance exclusive de notre pavillon. » Lord Aberdeen quitta le château d’Eu sans avoir pu décider le roi ni le ministre à lui donner autre chose que de vagues promesses. Il en était d’autant plus contrarié qu’il avait compté sur un succès diplomatique de ce côté pour ramener l’opinion anglaise, qui lui tenait rigueur des difficultés de toute nature auxquelles il avait à faire face dans le moment.

L’agitation libre-échangiste pour l’abolition des droits protecteurs sur les grains, l’agitation chartiste pour la conquête du suffrage universel et la représentation proportionnelle, l’agitation irlandaise pour la suppression de la dîme au clergé anglican et la fixité du taux des fermages, de graves échecs militaires en Afghanistan auxquels les menées russes n’avaient pas peu contribué, tout cela l’avait mis en mauvaise posture. Une entente avec la France, qui alors prenait possession de Nossi-Bé et de Mayotte, créait sur la côte opposée de l’Afrique les établissements du Gabon, d’Assinie, du Grand-Bassam, faisait accepter par la reine Pomaré son protectorat sur Taïti et s’emparait des îles Marquises, un accord avec la nation qui étendait ainsi sa puissance coloniale eût flatté en même temps que rassuré l’Angleterre, bien résolue à limiter notre part dans l’empire du monde d’outre-mer.

Lord Aberdeen devait pourtant rendre cette justice à Guizot et au roi qu’ils avaient agi de leur mieux pour vaincre les répugnances de la Chambre et de l’opinion dans l’affaire du traité du droit de visite. Il n’en fit rien, s’en alla de mauvaise humeur et, l’occasion aidant, il ne se gêna pas pour la manifester. Le discours du trône lu au commencement de l’année 1844 n’en mentionna pas moins l’entente cordiale qui existait entre les gouvernements de la France et de l’Angleterre. Mais, dans la discussion de l’adresse, Billault s’écria que l’entente cordiale n’existait nulle part. Nous verrons dans un chapitre prochain que Billault n’exagérait rien et que tous les points de contact de la France et de l’Angleterre étaient des points de conflit.