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fonctionnaires publics dans les élections, c’est vicier dans son essence l’égalité de la lutte que nous devons vouloir tous. »

Quel aveu de l’incapacité politique de la classe qui n’exerçait le pouvoir que parce qu’elle était pourvue de la richesse ! Et quelle condamnation prononçaient contre eux-mêmes, contre leurs électeurs, ceux qui avaient refusé le droit de suffrage aux classes éclairées de la population, lorsque leurs membres ne seraient pas assez riches pour payer deux cents francs de contributions directes ! Et comme le député républicain Marie eut beau jeu en flétrissant en ces termes leur bassesse et en qualifiant d’industrie ce qu’ils appelaient leur politique :

« Aujourd’hui, dit-il, les électeurs, les candidats aussi bien que le gouvernement, sont descendus, de la sphère élevée dans laquelle ils étaient placés, dans l’arène des intérêts matériels. C’est en quelque sorte une société d’assurance mutuelle entre le député et l’électeur, société dans laquelle l’électeur confère le pouvoir et le crédit à la condition qu’à son tour le député nommé, faisant usage du pouvoir et du crédit, rendra à l’électeur les faveurs et les places que l’électeur lui a donné le pouvoir d’acquérir pour lui. C’est donc là une lutte qui n’est pas politique, c’est une lutte industrielle. »

« Pour combattre l’élection de M. Floret, vous avez carte blanche. » Voilà les « instructions honorables » qu’on accusait le ministre de l’Intérieur d’avoir envoyées au sous-préfet de Carpentras, dont le frère, M. de Gérente, était le candidat officiel. Naturellement, le ministre nia. Mais il demeura acquis que le sous-préfet avait obligé un percepteur et un maire à marquer leur bulletin afin qu’on pût s’assurer au dépouillement qu’ils avaient bien voté. On établit aussi que le sous-préfet avait donné de l’argent à certains électeurs de la part de son frère. Le comte Duchâtel répliqua que c’était Floret, le candidat antiministériel élu, qui avait distribué de l’argent. Plusieurs députés demandaient qu’on poussât plus loin l’enquête, le comte de Gasparin s’y opposa vertueusement, « au nom de la tranquillité publique et de la paix des familles ».

À Embrun, sept individus avaient été inscrits frauduleusement sur la liste électorale. Pour justifier ce moyen employé au profit du candidat que Gustave de Beaumont déclarait « flétri par l’opinion et soutenu par tous les hauts fonctionnaires », le procureur du roi de Briançon avait « déclaré licites les manœuvres de toute sorte », ajoutant le scandale de ses propos au scandale des actes de l’administration. L’élection de Langres s’était faite à l’avenant. La Chambre invalida Floret. Pauwels, député de Langres, ayant donné sa démission, elle la refusa, et l’invalida également. Cet effort de vertu accompli, elle valida l’élection d’Embrun, et se remit aux affaires jusqu’à la fin de la session.

Quelques semaines après la clôture de cette session, la nouvelle reine d’Angleterre, Victoria, venait en France passer quelques jours auprès de