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rences ; tout en combattant la convention, il déposa et fit adopter un amendement à l’adresse, ainsi conçu ;

« Nous avons aussi la confiance qu’en accordant son concours à la répression d’un trafic criminel, notre gouvernement saura préserver de toute atteinte les intérêts de notre commerce et l’indépendance de notre pavillon. » Le ministère était battu, mais il ne s’en alla pas, d’abord parce que, connaissant le sentiment de la Chambre, il avait déclaré ne pas poser la question de confiance ; d’autre part l’amendement Jacques Lefevre lui laissait en réalité les mains libres pour le moment où l’attention de la Chambre se serait rendormie sur ce point. On le sentit si bien à Londres, que le protocole de la convention laissa en blanc la place où la France devait mettre sa signature et que les puissances attendirent patiemment le moment où Guizot pourrait l’y déposer sans ameuter l’opinion publique.

Cet écueil à peine franchi, le ministère se heurta contre un autre, qui fit une assez large brèche à l’honorabilité apparente de ses agents les plus élevés. Au cours d’une discussion sur la politique intérieure, Billault produisit une lettre du procureur général de Riom à Martin (du Nord), dans laquelle ce magistrat répondait à peu près en ces termes au ministre qui lui demandait instamment de hâter le procès des citoyens de Clermont impliqués dans les troubles relatifs au recensement :

« D’après la composition actuelle du jury, un acquittement est infaillible ; mais M. le préfet m’assure que les dispositions pour le jury de 1842 sont faites de telle façon que la condamnation sera à peu près certaine. » Un député, Isambert, avait vu également la lettre et vint le dire à la tribune. Devant la majorité confuse et démoralisée, Martin (du Nord) paya d’audace, proclama l’intégrité des magistrats et des fonctionnaires, et déclara que la lettre du procureur général avait été falsifiée et qu’elle disait : « La liste du jury pour 1842 donnera des jurés probes et libres, comme la loi le veut. »

C’était, en même temps qu’un aveu, l’insulte jetée à la face des jurés de la liste de 1841. Ceux de la liste de 1842, les « jurés probes et libres » la vengèrent en acquittant tous les accusés. Et pourtant, que de précautions prises par le préfet du Puy-de-Dôme pour satisfaire les désirs du ministère ! Pour nous en donner une idée, Elias Regnault nous montre, d’après Billault, ce qui se fit à Paris dans le même moment.

« Les listes du département de la Seine, dit-il, avaient été arrêtées ainsi que le veut la loi. 1.500 noms choisis par le préfet sur les 22.000 électeurs y avaient été inscrits. Les épurations du préfet furent cependant jugées insuffisantes. 1.100 noms furent rayés par les agents du ministère et remplacés par autant de noms dévoués à la politique ministérielle. Parmi eux se trouvaient environ 400 fonctionnaires publics. »

De tels incidents, et la manière dont une Chambre asservie passait con-