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et en donnèrent la direction à Cavaignac et à Dubosc. Cavaignac revenait d’Algérie, d’où il avait envoyé une série d’articles intéressants sur la nouvelle colonie, si peu connue en France, notamment au Journal du Peuple, à la Revue du Progrès, de Louis Blanc, et à la Revue Indépendante.

Il n’était plus le démocrate figé dans le culte de la Convention qu’on avait connu en 1834. Sa fréquentation en Algérie avec les officiers saint-simoniens lui avait ouvert des horizons nouveaux. On le vit bien au programme que publia le Journal du Peuple en annonçant sa transformation à ses lecteurs. « Le travailleur est abandonné à la commandite du capital privé, y était-il dit ; il faut que l’État arrive ici avec son crédit supérieur, et le place comme un recours entre le capital privé et le travailleur. En 89, on nationalisa le sol accaparé par les riches et les privilégiés ; nous disons qu’il faut en présence du capital industriel, nationaliser le crédit accaparé par les privilégiés et les riches. »

Les rédacteurs se déclarèrent tellement partisans de la propriété, de la famille et du mariage, qu’ils entendaient mettre ces biens à la portée des travailleurs. Mais ceux-ci devaient se rendre dignes de leur émancipation sociale, être aptes à en jouir pleinement et avec conscience. Le programme leur rappelait qu’à côté de leurs droits, ils avaient des devoirs. Nous relevons parmi les signataires, outre le nom de Cavaignac, ceux de Louis Blanc, David (d’Angers), Esquiros, Félix Pyat et Schœlcher. Faute d’argent, le Journal du Peuple quotidien ne parut que quatre mois, mais la cruelle revanche prise par Guizot contre la presse de gauche ne devait pas mettre fin à ses embarras de ce côté.

En attendant, il subissait un grave échec à la Chambre ; voici à quel propos et dans quelles conditions : D’autant plus fidèle à sa politique d’entente avec l’Angleterre que le ministère Palmerston avait succombé aux assauts répétés des tories, Guizot avait entamé des négociations avec le nouveau ministère dirigé par Robert Peel, relatives au droit de visite.

Ce qui rendait intolérable aux Français le droit de visite pour la répression de la traite des esclaves, c’est qu’il pouvait être pour l’Angleterre un moyen de domination sur les mers. Sa marine, en effet, couvrait l’Atlantique. Donner aux marines des États d’Europe et d’Amérique le droit d’arrêter les navires de commerce de n’importe quelle nation et de s’assurer qu’ils ne se livraient pas à la traite, c’était, pensait-on, mettre en fait aux mains de la marine anglaise un pouvoir dont celle-ci pourrait abuser pour gêner le commerce des nations rivales par mille tracasseries.

Guizot avait signé, le 20 décembre, une convention avec l’Angleterre et les autres puissances, sous réserve de l’approbation des Chambres françaises. Cette approbation, la Chambre des Députés la refusa après une vive discussion. Mais un député ministériel, Jacques Lefèvre, sauva les appa-