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Sur tous les points de la France surgissent des affiches anonymes menaçant de mort les carlistes et les prêtres. La presse libérale met en garde l’opinion publique contre ces excitations et les impute au parti vaincu. De fait, le clergé s’était associé à la politique du régime déchu, l’avait inspirée même. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il payât les frais de guerre. Mais en réalité, le mouvement fut bref, et ne constitua aucun péril sérieux pour les personnes. Le dégât se borna à peu près au renversement de quelques croix de mission. Il n’en fut pas de même dans les régions où les « carlistes » étaient en majorité.

Ainsi, dans les environs de Nîmes, il y avait un certain Graffan, qui voulut renchérir sur Trestaillons, au moins par le nom ; il se fit donc appeler Quatretaillons. Et pour mériter son titre, il envahit une ferme à la tête d’une bande, et y met le feu. Par les protestations du fermier, les bandits apprennent qu’il est catholique et non protestant comme ils le croyaient. Ils éteignent l’incendie, font des excuses et disparaissent.

Ces agitations n’impressionnent point les amis de la liberté au dehors. L’Angleterre libérale, notamment, tient à se signaler par l’empressement et l’unanimité apportés à reconnaître et à acclamer les vainqueurs de l’ancien régime. Chaque jour les journaux de Paris ont à publier des adresses enthousiastes, entre autres celles des municipalités de Nottingham et de Liverpool, d’une députation des habitants de Londres, du lord-prévôt d’Édimbourg, etc. Nous trouverons plus loin le tableau des espérances que la révolution donna un instant aux peuples conscients de l’oppression qui pesait sur eux. Disons seulement pour l’instant que Paris et la France répondaient à cette ardente aspiration vers la liberté des citoyens et des nationalités en préludant à la restauration du culte napoléonien.

Dès septembre, en effet, les théâtres parisiens, fidèles échos de la pensée publique et serviteurs intéressés des grands courants, font surgir des Napoléons aux Nouveautés, aux Variétés, au Vaudeville, à l’Ambigu, à la Porte Saint-Martin, partout ! Chaque théâtre veut avoir son Napoléon, faire recette avec un Napoléon. Et tout culte se plaçant dans des régions inaccessibles au ridicule, l’on voit sur les moindres tréteaux des Napoléons majestueux et familiers, des Napoléons terribles, des Napoléons tonitruants, offerts à l’adoration des foules. Dans le même temps, le Globe publie l’Ode à la Colonne, et l’on commence à réclamer aux Anglais les cendres du héros. Une émeute avait éliminé du pouvoir Lafayette et Dupont (de l’Eure). Une émeute en allait éliminer Laffitte et ses collègues du cabinet, et ramener les hommes de la résistance. Par une inconcevable aberration qui réunissait tous les caractères d’une bravade, les légitimistes parisiens avaient organisé à Saint-Germain l’Auxerrois un service funèbre à la mémoire du duc de Berry. Cette cérémonie, qui eut lieu le 14 février, tourna en manifestation royaliste sur le nom du jeune duc de Bordeaux. Le bruit court dans la foule amassée que l’on proclame roi l’enfant mis en fuite il y a quelques mois ; elle s’ameute, s’exalte, se rue et saccage l’église. Le mouvement emporte la foule par toute la ville, et en un clin d’œil toutes les croix sont abattues. Le lendemain, l’archevêché est mis à sac et démoli.