Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/434

Cette page a été validée par deux contributeurs.

enfermé dans l’Égypte, à lui en assurer la possession héréditaire moyennant l’engagement de réduire l’armée égyptienne à dix-huit mille hommes, de ne construire aucun vaisseau sans la permission du sultan et de payer à la Turquie un tribut annuel de dix millions de francs. La France ayant, par la note du 8 octobre précédent, déclaré simplement qu’elle ne permettrait pas que le pacha fût dépossédé de l’Égypte, il n’y avait aucun motif de désaccord entre elle et les quatre puissances.

Elle put donc rentrer dans le concert européen sans amoindrissement moral, et Guizot eut tout le bénéfice de l’opération, la note du 8 octobre qui limitait les prétentions de la France au profit de Méhémet-Ali ayant été l’œuvre de son prédécesseur. Sa rentrée fut facilitée par l’antagonisme irréductible de l’Angleterre et de la Russie en Orient, qui faisait de la France l’alliée naturelle de l’Angleterre sur ce terrain. Ensemble, la France et l’Angleterre firent annuler l’entente russo-turque, et les puissances signaient, le 13 juillet 1841, la convention dite des détroits, par laquelle le Bosphore et les Dardanelles étaient fermés à toutes les flottes militaires de l’Europe. Dans le même moment, les cabinets de Londres et de Paris s’accordaient pour régler les différends qu’ils avaient en Grèce et préludaient ainsi à la reprise de l’entente cordiale.

Or si, au dehors, les affaires du ministère s’arrangeaient pour ainsi dire toutes seules, et par la force des choses, il n’en devait pas être de même à l’intérieur, et sa tranquillité, assurée dans les Chambres, fut troublée par une agitation assez vive, soulevée par la maladresse du ministre des finances, qui, à propos du recensement décennal destiné au remaniement de la répartition des contributions directes, lança une circulaire où tout le monde crut voir à la fois une menace d’augmentation des impôts et une atteinte au droit des municipalités.

La loi de 1832 donnait au gouvernement la tâche du recensement des propriétés et de la population des communes, mais il attribuait aux conseils généraux et d’arrondissement la répartition des contributions entre les imposables. La presse radicale, plus désireuse de créer des embarras au ministère que de se conformer aux règles établies, prétendit que le gouvernement n’avait pas le droit de procéder au recensement. Et elle appuyait sa protestation, insoutenable en droit, sur des critiques fort justifiées sur la manière dont, en certaines localités, les agents de l’État avaient procédé à cette opération, incorporant la population flottante, détenus, soldats, etc., à la population sédentaire, afin d’augmenter arbitrairement la quote-part de ces localités.

Le fisc a toujours été impopulaire en France. Aussi la querelle ne tarda-t-elle pas à s’envenimer, et des troubles éclatèrent sur de nombreux points du territoire, à Lille, à Clermont, où des barricades furent élevées. À Toulouse, ce fut une véritable émeute : il y eut des morts et des blessés, par la brutalité maladroite du nouveau préfet, envoyé par Guizot pour faire de