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maréchal Soult, qui rongeait visiblement son frein et qu’on ne désespérait pas de voir s’emballer, le projet de loi sur les fortifications fut voté à une assez grande majorité. Aux Pairs, Molé, aidé de Pasquier, tenta de réussir l’opération manquée à la Chambre, mais la loi fut également volée après un très vif débat.

Et il fallut bien, à la Chambre, revenir à la réforme parlementaire, à la proposition Remilly sur les incompatibilités, ajournée seulement, mais non enterrée, dans la précédente session. Le scandale des députés exerçant des fonctions publiques était au comble. Leur nombre était allé croissant. On en comptait 130 en 1828, 139 en 1832, 150 en 1839. En 1842, ils allaient être 167, puis 185 en 1846 et dépasser le chiffre de 200 en 1847. On pouvait donc, déjà en 1841, dire que les lois étaient votées par une majorité composée en majorité de fonctionnaires, puisque les fortifications de Paris le furent par 237 voix.

La Charte de 1830 et la loi du 14 septembre de la même année avaient bien soumis à la réélection les députés pourvus d’une fonction publique au cours de leur mandat, la loi de 1831 avait bien établi quelques incompatibilités entre certaines fonctions et le mandat législatif, mais c’était là, on le voit par les chiffres que nous donnons, une bien faible barrière. Si ces restrictions n’avaient pas existé, il n’y eût pas eu un député-fonctionnaire de moins.

Il semble que la situation sociale des éligibles, pour lesquels le cens était relativement élevé, dût préserver les députés de la corruption. Mais ce serait bien mal connaître la nature humaine que de le croire, et ignorer que tout pouvoir fondé sur la richesse est par là même exclusif de tout élévation morale. « Élevez le cens, disait fort justement l’orléaniste Duvergier de Hauranne, et à la séduction des bouteilles succédera celle des places. Il ne faut pas croire qu’au dessus de mille francs de revenu on soit moins disposé à se vendre qu’au dessous : seulement, en se vend pour autre chose. »

Guizot fut moins que Thiers gêné aux entournures, ayant avec lui une majorité qui ne s’était pas, comme celle de son prédécesseur, prononcée contre ce honteux système. Il put donc combattre la reprise du projet de Remilly et le faire repousser, malgré les efforts de Garnier-Pagès et de Mauguin, qui avaient présenté ce projet sous une autre forme et en avaient demandé la prise en considération. L’opposition était battue une fois de plus, sur ce terrain. Mais ses coups avaient porté dans l’opinion. La servilité des Chambres, dont l’une était nommée par le roi et dont l’autre s’emplissait de fonctionnaires, détacha d’elles peu à peu le pays, leur attira son mépris profond, attesté par la facilité avec laquelle il devait accueillir une révolution qui les fit disparaître l’une et l’autre.

D’un autre côté, la tranquillité du ministère fut assurée. La Porte avait fini par céder aux désirs des puissances et, Méhémet-Ali étant désormais