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Ce drame passionna la France entière. En prison, Mme Lafarge publia ses mémoires, écrits avec esprit et d’un style aisé et vif ; le public se les arracha. La majorité était pour elle. La pression de l’opinion sur le pouvoir devait, douze ans après, lui rendre la liberté.

Tandis que les préoccupations se tournaient du côté de Mme Lafarge, la Chambre ouvrait un grand débat sur les fortifications de Paris. Le gouvernement présentait un projet comportant une enceinte continue et des forts détachés, Soult qui connaissait au moins les choses de son métier, ne croyait pas à l’utilité de l’enceinte. L’histoire a tragiquement prouvé, trente ans plus tard, qu’il avait raison. Il vint donc à la tribune combattre le projet déposé par lui-même, à la grande fureur de ses collègues et du roi. Mais, tancé vertement le soir même par le roi, le vieux militaire se tint coi désormais, et Guizot déclara à la Chambre que le ministère était unanime à demander l’enceinte continue.

L’opinion, même républicaine, n’était pas moins divisée que le ministère. Emballé par son chauvinisme organique, le National ne voyait de sécurité pour Paris que dans le mur fortifié. D’autres républicains, Cabet en tête, soutenaient avec raison que les forts étaient destinés à défendre Paris, et l’enceinte à le contenir, à l’embastiller au besoin. Cabet publia de courageuses brochures ; les Bastilles, qui exaspérèrent les gens du National. Un de ses rédacteurs le provoqua en duel. Approuvé par les ouvriers, qui lui défendirent de jouer sa vie en un stupide combat singulier, Cabet déclina le cartel et poursuivit sa campagne.

Le National ayant refusé d’insérer une lettre qu’il lui avait adressée, Cabet le poursuivit devant le tribunal, où il vint affirmer hautement sa doctrine communiste, puisée, disait-il, dans les enseignements de Socrate, de Platon et de Jésus-Christ. Louis Blanc prit parti pour Cabet, et écrivit dans la Revue du Progrès : « Nous devons à M. Cabet, au nom de la majorité du parti démocratique, de solennels remerciements pour le zèle, le courage, l’inébranlable constance qu’il a mis à repousser les Bastilles. »

Fait digne de remarque, et qui passa alors inaperçu, ne souleva pas les susceptibilités patriotiques des républicains, pourtant si prompts à s’échauffer, c’est que les fortifications de Paris furent en partie construites par des Allemands. Cela inspira au Charivari une variante des innombrables parodies de la Chanson du Rhin qui couraient alors, et où il fait chanter à ces braves travailleurs, pressés d’envahir la France pour y gagner leur pain :

« Non, ils ne t’auront pas, Rhin ! Rhin ! Rhin ! vin ! vin ! vin ! Les fortifications nous appellent, ma truelle frémit d’impatience ; en route et répétons toujours : Heug ! Heug ! Heug ! le cri des braves ! »

À la Chambre, malgré les efforts des anciens ministres pour embarrasser îe cabinet et le faire tomber, car sous cette discussion patriotique se cachaient à peine d’ardentes compétitions, mises en espoir par l’attitude boudeuse du