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du jour où Louis-Philippe avait rendu un solennel hommage aux cendres de Napoléon, cette révélation fit scandale.

Quinze jours après, un autre journal légitimiste, la France, publiait trois autres lettres, postérieures à 1830, sous le titre sensationnel de : la Politique de Louis-Philippe expliquée par lui-même. Dans la première le roi mandait à un ambassadeur, que, fidèle aux engagements pris par Charles X avec l’Angleterre, il évacuerait Alger dès que l’état des esprits en France le lui permettrait. Dans la seconde, il se faisait un mérite d’avoir sauvé la Russie, l’Autriche et la Prusse en appliquant le principe de la non-intervention. Dans la troisième, il expliquait les efforts qu’il avait faits pour endormir le civisme en éveil, se plaignait qu’on ne lui sût pas gré de ses efforts, et se promettait de « maîtriser la presse, notre plus dangereuse ennemie ».

Ces lettres furent reproduites par tous les journaux de l’opposition. Les partisans du régime étaient affolés, seuls quelques-uns niaient énergiquement leur authenticité. Le gouvernement, après une assez longue hésitation, se décida à poursuivre les journaux qui les avaient publiées, mais sans déclarer qu’elles étaient fausses. Cependant le gérant et le rédacteur de la France étaient arrêtés sous l’inculpation de faux. Quant à la Gazette de France, on se contentait d’y faire une perquisition, sans la poursuivre, ce qui était avouer que les lettres de 1807-1808 avaient bien été écrites par Louis-Philippe.

Les trois lettres publiées par la France avaient été communiquées à ce journal par une aventurière, Ida de Saint-Elme, qui signait la Contemporaine. Lorsque Guizot était ambassadeur à Londres, elle avait voulu lui vendre ces lettres, ainsi qu’un grand nombre d’autres, qu’elle disait tenir de Talleyrand. Elle en voulait soixante-quinze mille francs. Guizot marchanda : ce haut prix, maintenu par la dame, fit rompre les négociations.

Étaient-elles authentiques ? Il faut bien que le jury l’ait cru, puisqu’il acquitta ceux qui les avaient publiées, après que le ministère public eut abandonné l’accusation de faux. Une obscurité demeure, cependant. La première de ces lettres a été forgée en prenant une note verbale de Louis-Philippe à l’ambassadeur d’Angleterre et en y ajoutant un paragraphe qui ne trouve pas dans cette note. Cela ressort d’une publication qu’avait faite Larrans, un journaliste républicain, en 1834, et qu’on n’eut l’idée de rechercher qu’après le procès.

On sait qu’en langage diplomatique ce qu’on appelle une note verbale est une communication écrite. La Saint-Elme avait donc pu se la procurer si elle avait vécu dans l’intimité de Talleyrand. D’ailleurs, si tout avait été faux dans son dossier, pourquoi Guizot eût-il entamé des pourparlers pour l’acquérir ? Ce qui ne l’était pas, en tout cas, c’est l’exposé de la tactique politique, l’expression des sentiments réels de Louis-Philippe. Il s’en était, sous une autre forme, mais toujours dans le même sens, expliqué vingt fois