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dans cette journée du 15 décembre, en regardant passer, sous l’Arc de Triomphe où tout cela était inscrit, l’impérial cortège où Louis-Philippe jouait le rôle du maître des cérémonies bien plus que de l’héritier.

Après avoir donné cette satisfaction aux rêves de gloire, le roi s’appliqua à en donner de plus grandes à une puissance plus immédiate, et dont le concours lui était nécessaire pour tenir les foules dans la soumission à l’ordre établi. Et aux félicitations que, le ler janvier 1841, l’archevêque de Paris, Affre, lui apportait au nom de son clergé, Louis-Philippe répondait, en parlant des devoirs de son gouvernement :

« Je mets au premier rang de ces devoirs celui de faire chérir la religion, de combattre l’immoralité et de montrer au monde, quoi qu’en aient dit les détracteurs de la France, que le respect de la religion, de la morale et de la vertu est encore parmi nous le sentiment de l’immense majorité. » M. Thureau-Dangin, en se reportant à ce discours, constate avec joie le « chemin fait depuis ce lendemain de 1830 où le souverain n’osait même plus prononcer le mot de Providence ».

Qu’en était-il des sentiments réels du roi ? Ici encore, s’il faut en croire Proudhon, qui tient ce renseignement du père de M. de Schonen, un « ami intime de Louis-Philippe », celui-ci aurait fait à Schonen, cette confidence : « Je suis athée et matérialiste. » Proudhon, là dessus, s’écrie : « Eh bien ! qui est-ce qui flagorne le clergé ? » et il ajoute : « Tout le monde, à Paris, méprise Louis-Philippe, oui, tout le monde. Tout le monde a un fait de lésinerie, d’hypocrisie, de bassesse dégoûtante, de noirceur à raconter. Tout le monde. »

Louis-Philippe croyait non aux dogmes de la religion, mais à sa puissance disciplinaire, et résolu à gouverner en réaction, il employait cette puissance, tout en l’augmentant des concessions que lui faisait son gouvernement. Au mépris des lois, Lacordaire arborait, ce carême-là, l’habit du dominicain dans la chaire de Notre-Dame et réorganisait publiquement un ordre qui n’avait aucune existence légale.

Comme Montalembert, Lacordaire n’avait gardé de son contact avec Lamennais que ce que l’Église en avait reconnu utile à sa cause : la liberté d’association et d’enseignement, c’est-à-dire liberté pour les congrégations religieuses et pour les écoles congréganistes, la liberté de l’erreur n’ayant jamais été admise par le catholicisme que comme une concession temporaire imposée par la force des choses. Il ne s’était pas séparé sans une profonde douleur de celui qui l’avait dominé de toute la hauteur et de toute la force d’un esprit supérieur.

Il avait été, au moment de quitter Lamennais, déchiré « par les tourments de la conscience qui lutte contre le génie ». En se séparant de lui. il lui écrivait ces lignes qui tracent, dans certains esprits, la démarcation du sentiment et de la raison : « Peut-être vos opinions sont plus justes et plus profondes,