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La querelle des ministres de la veille et du jour atteignit forcément ceux de la surveille. Thiers avait hérité de Molé, Guizot héritait de Thiers. Les fautes initiales commandaient les fautes dernières. Garnier-Pagès fit ressortir cette solidarité et reprocha surtout à Thiers d’avoir eu des attitudes guerrières, tout en faisant des efforts pour conserver la paix.

En un discours qui fit vibrer la fibre patriotique de l’opposition de gauche, tout en donnant satisfaction aux rancunes des légitimistes, que parfois ses audaces faisaient trembler, Berryer fît le procès de la politique étrangère de Louis-Philippe, épousée servilement par ses ministres successifs. « Quatre fois en dix ans, s’écria-t-il, on a su que la France, pour ses intérêts, voulait sauver la Pologne, préserver la Belgique attaquée, assurer son ascendant en Espagne, protéger Méhémet-Ali. Oui, quatre fois vous avez fait connaître au monde la volonté de la France, et quatre fois vous avez fait accuser la France ou d’impuissance ou d’inertie : Quatre fois en dix ans, messieurs, c’est trop, beaucoup trop ! »

Que pouvait répondre Guizot ? Deux au moins de ces allégations étaient exactes. Il ne lui était pourtant pas possible de montrer à la Chambre que les audaces et les reculades de notre politique étrangère étaient dues aux conflits des ministres, cédant à l’opinion, et du roi, résolu à rassurer les puissances et à se faire accepter par elles. Il s’en tira en montrant que, déchaîner la guerre, c’était déchaîner du même coup la révolution. En cela, il fut sincère, mais il donna barre sur lui à Thiers, qui proclama que le vrai pouvoir fort est celui qui assure l’ordre à l’intérieur, tout en se faisant craindre au dehors.

Odilon Barrot revint à la question, il protesta contre l’acceptation du traité du 5 juillet par le nouveau ministère, et prétendit avec une logique un peu simpliste que Guizot ne pouvait succéder à Thiers, puisqu’il avait été son ambassadeur et le confident intime de sa politique.

L’adresse élaborée par la commission fut légèrement modifiée par la Chambre. Elle déclara que la France, « vivement émue par les événements d’Orient », veillait au maintien de l’équilibre européen et ne souffrirait pas qu’il y fût porté atteinte. Guizot accepta ce texte qui, en somme, lui laissait les mains libres, tout en permettant de le voter aux députés qui s’étaient le plus engagés dans la politique du précédent ministère, et il eut sa majorité.

Thiers, au lendemain de l’attentat de Darmès, avait ordonné des poursuites contre la presse démocratique. Il avait dit : Tue ! Son successeur assomma. Martin (du Nord) adressa aux procureurs généraux une circulaire leur recommandant de tenir plus que jamais la main à l’exécution des lois de septembre concernant la presse. À Paris, le National fut saisi deux fois, puis des poursuites furent ordonnées contre la Revue Démocratique. Le banquet annuel des réfugiés polonais fut interdit. Lamennais, poursuivi pour sa brochure, le Pays et le Gouvernement, se vit frapper durement : un an de prison.

L’ancien prêtre, qui, sous la Restauration, avait été un fanatique de théo-