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dut exprimer la pensée intime de Louis-Philippe, la sienne propre, et que les puissances, tenues en échec par les moyens purement dilatoires qui lui étaient indiqués de Paris ou suggérés par son esprit fertile en ressources, aperçurent bientôt qu’elles pourraient agir sans se gêner, et au besoin se passer du concours de la France.

Dans les Chambres françaises, on attendait Guizot au discours du trône, avec beaucoup plus d’impatience et d’anxiété que dans les cours et dans les cabinets étrangers, où l’on savait désormais à quoi s’en tenir. Ce n’est pas qu’en France on l’ignorât, mais on était curieux de savoir comment Guizot se tirerait d’affaire, et si ses déclarations seraient acceptées par la majorité qui avait suivi Thiers docilement, et l’eût suivi de même s’il était resté au pouvoir. Il faut cependant noter qu’à Londres et à Vienne on ne fut pas absolument indifférent : la Chambre pouvait avoir un sursaut de patriotisme, le peuple lui-même pouvait s’agiter et la pousser à des résolutions extrêmes, forcer Louis-Philippe à opter entre la guerre et le trône. Et on savait qu’il était fort capable de lâcher le tigre plutôt que de rester enfermé avec lui.

Si le ministère est renversé, écrivait dans ce moment Louis-Philippe à son gendre, le roi des Belges, « point d’illusions sur ce qui le remplace ; c’est la guerre à tout prix suivie d’un 93 perfectionné ». Et il lui donnait cet avis, destiné aux signataires du traité du 15 juillet : « Dépêchons-nous donc de conclure un arrangement que les cinq puissances puissent signer. » On voit par cette lettre que le roi tâchait, sans compromettre la paix, de faire rendre à la France les avantages que lui avait fait perdre le traité des quatre puissances. Il serait donc injuste de lui ôter le bénéfice moral de cette démarche en la passant sous silence, ou de n’y voir qu’une tentative de rentrée en grâce auprès des puissances, moyennant quelques concessions de forme à l’amour-propre national.

Le discours fut d’abord lu aux Pairs, selon la coutume. Il affirmait la paix à tout prix, dans un développement de phrases où étaient proclamés les droits de la France et le souci de sa dignité et de sa sécurité. Quant au traité du 15 juillet, c’était un événement de peu d’importance, destiné à régler un conflit lointain, et qui ne touchait pas aux intérêts directs et essentiels du pays. L’adresse en réponse aux discours de la couronne fut votée par les Pairs sans discussion.

Restait la Chambre où Thiers avait fait blanc d’une épée qu’il n’avait pas tirée du fourreau, mais seulement agitée en un vain bruit de ferraille. Mais l’opposition était fort réduite, et tous ceux qu’il avait enchaînés à son ministère ne l’y suivirent pas, il s’en faut. Quant aux autres, ils avaient eu peur de la guerre, s’en étaient crus délivrés lorsqu’il avait quitté le pouvoir. Leur cœur avait trop violemment battu à la baisse de la Bourse, pour ne pas lui en garder rancune. « On a souvent remarqué, dit à ce propos M. Thureau-Dangin, que, quand elles ont peur, les parties d’ordinaire les plus calmes et les plus inoffen-