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Il était la cocarde guerrière d’un cabinet de paix à outrance et d’effacement national, comme Guizot, avec son air rogue de protestant doublé de janséniste, en était l’enseigne de probité et de sincérité.

La situation de Guizot était excellente. Thiers avait crié, tempêté, remué de la terre, des armes, des millions, mais en somme n’avait accompli aucun acte diplomatique qui engageât la France à la guerre. Il avait quitté le pouvoir bien plus pour esquiver les responsabilités de la situation devant les Chambres, que faute de les pouvoir porter jusqu’au bout dans la voie belliqueuse où, au fond, il n’avait, pas plus que Louis-Philippe, le désir de s’engager. Il rentrait dans l’opposition avec le prestige usurpé d’un homme qui avait mieux aimé quitté le pouvoir que de s’incliner devant l’étranger.

Et, prenant avantage sur son successeur, non seulement de cette situation, mais encore du rôle joué par celui-ci dans son ambassade à Londres, il pouvait ainsi l’accuser de ne l’avoir pas fidèlement servi dans une mission délicate entre toutes, à un moment tout particulièrement critique. Mais qui cet ambassadeur devait-il servir ? Son ministre des Affaires étrangères, ou le roi, qui prétendit être toujours son propre ministre et correspondit toujours directement non seulement avec ses ambassadeurs, mais encore, par-dessus leur tête, avec les gouvernements européens ?

Quel avait été le rôle de Guizot à Londres ? Sentant l’hostilité irréductible de Palmerston envers la France, il s’était mis du côté des adversaires politiques de ce ministre, avait intrigué avec eux pour le renverser, lui avait de ce chef causé bien des embarras. Or, les conservateurs anglais pouvaient utiliser le concours d’un allié aussi important, mais ils ne se croyaient pas tenus pour cela de le payer autrement qu’en paroles. Ils voulaient bien renverser Palmerston du pouvoir, mais non renoncer pour leur pays aux bénéfices de sa politique en Orient.

À se mêler de la politique intérieure de l’Angleterre et à servir les tories, Guizot ne pouvait donc qu’accroître l’animosité de Palmerston, qui n’ignorait rien de ses démarches. Fit-il cette politique à l’insu de Thiers ? Évidemment non. Tout comme Louis-Philippe, Thiers escomptait la chute du ministère libéral pour resserrer les liens fort relâchés de l’entente cordiale et faciliter le règlement des affaires d’Orient. Mais il comptait aussi sur sa propre habileté, sur son action en Orient, sur la situation prépondérante que Méhémet-Ali s’était faite par sa victoire. Encore eût-il fallu que l’habileté de Thiers ne fût pas en défaut. Or, en Orient, il avançait, puis reculait. Il gardait à Constantinople un ambassadeur qui desservait sa politique, il arrêtait l’armée d’Ibrahim, puis, au nez des Anglais, favorisait la désertion de la flotte turque. Il faut avouer que cette politique incohérente n’avait pas facilité la tâche de Guizot à Londres.

À présent, celui-ci tenait-il, dans les conférences, le langage qui eût convenu ? Montrait-il la France résolue, coûte que coûte, à laisser au pacha d’Égypte ses conquêtes ? Stylé par le roi, ne laissait-il pas entendre aux repré-