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Recevant les ambassadeurs d’Autriche et de Prusse, il leur criait : « Depuis dix ans, je ferme la digue contre la révolution, aux dépens de ma popularité, de mon repos, même au danger de ma vie. Ils me doivent la paix de l’Europe, la sécurité de leurs trônes, et voilà leur reconnaissance ! Veulent-ils donc que je mette le bonnet rouge ? » Son fils clamait à l’unisson, se faisait une popularité en disant bien haut qu’il aimait mieux « mourir sur le Rhin que dans un ruisseau de la rue Saint-Denis ».

Et ce que Louis-Philippe porterait sur le Rhin, c’était la révolution. « Vous êtes des ingrats, criait-il à ceux qui venaient de le mettre en si fâcheuse posture. Vous voulez la guerre, vous l’aurez ; et s’il le faut, je démusellerai le tigre. Il me connaît et je sais jouer avec lui. Nous verrons s’il vous respectera comme moi. »

Quelle sincérité y avait-il dans ces cris et dans ces menaces ? Le roi était certainement très ulcéré. Ceux qu’il avait tant ménagés lui portaient un coup cruel. Ses sentiments étaient ici d’accord avec son intérêt. Mais le rusé bonhomme n’en était pas à courir les chances d’une guerre pour une affaire manquée, dont il lui était possible de jeter la responsabilité sur son ministre, quitte à se débarrasser de lui au bon moment. « Si je m’étais prononcé pour la paix, a-t-il dit depuis, M. Thiers eût quitté le ministère et je serais aujourd’hui le plus impopulaire des hommes. Au lieu de cela, j’ai crié plus haut que lui et je l’ai mis aux prises avec les difficultés. »

Au plus fort de ses récriminations, il avouait en elles plus de colère que de menace, lorsqu’il disait confidentiellement au comte de Saint-Aulaire, son ambassadeur à Vienne : « Pour votre gouverne particulière, il faut que vous sachiez que je ne me laisserai pas emporter trop loin par mon petit ministre. Au fond, il veut la guerre, et moi, je ne la veux pas ; et quand il ne me laissera plus d’autres ressources, je le briserai plutôt que de rompre avec l’Europe. » Ici, nous avons le véritable Louis-Philippe, et le National l’avait bien jugé.

Le « petit ministre », d’ailleurs, commençait à être singulièrement embarrassé. Il savait que les peuples, surtout en Allemagne, étaient loin d’attendre les Français comme des libérateurs. À l’explosion de fureur française avait répondu, de l’autre côté du Rhin, un long cri de défi. Tous les vieux griefs de 1813 surgirent, réveillant le patriotisme germanique. L’armée prussienne désirait la guerre et le prince héritier, qui devait être l’empereur Guillaume, faisait acclamer ses sentiments guerriers.

Les écrivains rappelaient la reine Louise insultée par Napoléon et, remontant dans l’histoire, parlaient de venger Conradin de Hohenstauffen, décapité par Charles d’Anjou. Les poètes évoquaient Hermann anéantissant les légions de Varus ; les militaires parlaient d’Iéna et de Valmy, point encore effacés par deux invasions en France ; les journalistes et les professeurs demandaient l’Alsace et la Lorraine, proposaient de revenir au traité de Verdun entre les fils de Louis le Débonnaire ; les pasteurs et les curés ameutaient leurs ouailles