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mées depuis plusieurs mois avec notre participation ? Un ultimatum adressé à Méhémet-Ali, pacha d’Égypte, le sommant d’avoir à rendre au sultan les villes saintes d’Arabie, l’île de Crète, Adoua et le nord de la Syrie. S’il acceptait de s’exécuter dans les dix jours, les puissances lui garantissaient la domination héréditaire de l’Égypte, viagère de la Syrie. Sinon, elles agiraient contre lui par la force.

On sait que le pacha d’Égypte était le protégé, le client, l’ami du gouvernement français. Nous avons dit, dans un chapitre précédent, les espérances, d’ailleurs illusoires, que l’on fondait sur lui, en France, pour faire des Égyptiens une nation civilisée. La France et l’Angleterre avaient coopéré à lui assurer ses conquêtes sur l’empire ottoman, sanctionnées par la convention de Kutayeh. À ce moment, l’entente avait été complète entre le gouvernement britannique et le nôtre, encore resserrée par le traité d’Unkiar-Skelessi, qui plaçait la Turquie sous le protectorat effectif de la Russie.

Mais si l’Angleterre avait autant que la France intérêt à ce que le sultan ne tombât pas sous le vasselage du tzar, et à empêcher Constantinople de tomber finalement aux mains des Russes, elle avait un intérêt non moindre à entraver les efforts de Méhémet-Ali, en vue de la création d’un empire arabe, assis sur le Nil et sur l’Euphrate, et fermant la route commerciale de l’Inde. Elle n’était que trop bien servie à Constantinople par son ambassadeur, lord Ponsonby, qui avait gagné la confiance et la sympathie du sultan Mahmoud et le pressait de reconstituer ses forces militaires pour abattre la puissance du pacha d’Égypte, ce rebelle à son prince légitime et à son chef religieux.

Ponsonby haïssait la France avec une patriotique ardeur. Notre ambassadeur à Constantinople, l’amiral Roussin, la servait avec une inintelligence rare. Dupé par les sentiments réformistes de Mahmoud, qui tentait maladroitement et brutalement d’européaniser les Turcs, et croyait avoir fait une révolution lorsqu’il avait remplacé le turban par le fez sur la tête de ses sujets, l’amiral Roussin excitait lui aussi le sultan contre Méhémet-Ali.

Le commandeur des croyants n’avait pas besoin de ces excitations. Il n’était que trop exaspéré contre le sujet rebelle qui avait battu ses meilleures armées et menacé Constantinople. Tous ses efforts étaient tournés vers la réorganisation de ses troupes, et toutes ses pensées vers la revanche. La convention de Kutayeh ne le liait pas. Était-il tenu de respecter un traité que la force lui avait arraché ? Et ce traité, ne pourrait-il prétendre que le pacha d’Égypte l’avait violé dans une de ses parties ?

Méhémet, cependant, travaillait à consolider sa conquête, qu’il sentait précaire tant que les puissances ne l’auraient pas consacrée par leur consentement exprès. Il voulait faire reconnaître sa souveraineté héréditaire sur l’Égypte et la Syrie. La France ne demandait pas mieux que de le seconder. Mais l’Angleterre et la Russie faisaient la sourde oreille, celle-ci parce qu’elle avait tout avantage à protéger le sultan, à lui garantir ses possessions d’Asie, à mesure