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n’ayant pas d’existence légale, le procès tourna à son détriment. Elle dura, ou plutôt vivota, sans cesse en diminuant, jusqu’en 1873.

On le voit : comme faits, peu de chose. Autant dire rien. Mais partout une semence qui germe, moins que cela : un rêve. Mais ce rêve, si exalté qu’il soit chez les uns et si mystique chez les autres, n’est pas le consolateur platonique des courtes heures de repos. Il est le désir, il est l’espérance, il est la volonté, qui peu à peu grandiront, se préciseront, s’affirmeront et un jour de révolution prendront leur vol, pour retomber brisés, mais non lassés, et se reformer sur un plan plus conforme à la réalité de l’univers et au pouvoir de ses chétifs habitants.



CHAPITRE VII


LA POLITIQUE DES AFFAIRES


La loi des incompatibilités parlementaires. — Thiers rejette la Chambre sur les lois d’affaires. — Tout pour les rentiers et les banquiers, rien pour la boutique et l’atelier. — La conversion, les chemins de fer, les mines, la Banque de France. — Thiers propose de ramener en Francs les cendres de Napoléon. — La Chambre rejette la réforme électorale. — Les banquets pour la réforme : les communistes organisent le leur. — L’échauffourée de Boulogne : Louis Bonaparte interné à Ham.


Revenu au pouvoir, Thiers allait avoir à lutter à la fois contre le monarque qui l’avait appelé à contre-cœur et contre une Chambre dont les éléments de droite ne le soutiendraient pas dans ses actes gouvernementaux et dont les éléments de gauche le serviraient mal dans ces actes, en même temps qu’ils lui susciteraient toute sorte d’embarras en suivant les doctrinaires, qui se découvraient subitement une austère tendresse pour les principes. Les républicains s’indignaient de voir la gauche monarchique prendre pour chef de file un homme dont l’opposition au pouvoir n’avait jamais été qu’un immense appétit de pouvoir.

« Il faut, disait le National (6 mars 1846), que notre opposition constitutionnelle de dix ans soit tombée bien bas dans sa propre estime et désespère bien de sa fortune, pour placer ainsi à fonds perdus son honneur et son avenir sur la tête d’un aventurier politique. » Le National en parlait bien à son aise, lui qui n’avait rien à attendre du pouvoir, que des rigueurs, ou des tentatives de détournement, par corruption, de ses rédacteurs. Odilon Barrot avait trouvé le mot de la situation, lui qui voyait avec regret se former le nouveau courant : « Je ne puis les tenir, disait-il ; ces pauvres hères ont faim depuis dix ans. »

Or, au moment où ils s’attablent, il leur faut avaler un premier plat de reptiles, voter les fonds secrets. Ils ferment les yeux et avalent. Ministérielle, mais gardant son privilège aristocratique d’ironie, la Revue des Deux Mondes cons-