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tions ouvrières, et il eut parmi ses collaborateurs des travailleurs manuels, des communistes tels que Savary et Noiret, bien qu’il ne cachât point son aversion pour les sectaires m de je ne sais quelle mystique théorie de fausse égalité ».

Tel est, pour cette année 1840, le bilan de la classe ouvrière parisienne. Les grèves de juin à septembre n’ont point passé en vain. Des idées sont entrées dans les cerveaux, qui n’en sortiront plus. Les travailleurs commencent à sentir la nécessité de groupements permanents. Puisqu’en 1839 les patrons imprimeurs ont pu fonder ouvertement une Chambre syndicale, pourquoi donc leurs ouvriers n’en feraient-ils pas autant ? Réunissant la trentaine de sociétés de secours mutuels de la corporation, ils fondent la Société typographique, qui comptera bientôt douze cents membres, la moitié des membres de la corporation.

Les cordonniers, tant éprouvés par la grève, sentent le besoin d’une organisation permanente et fondent la Laborieuse, qui fait le placement des camarades sans travail et leur donne un secours de chômage. Mais sous le couvert de cette caisse de chômage, un fonds de grève peut se créer : l’administration n’autorise la Laborieuse à vivre qu’à la condition d’inscrire dans ses statuts que « le secours quotidien ne sera pas accordé dans le cas de cessation volontaire et concertée du travail, ou bien d’un chômage résultant d’une coalition quelconque des ouvriers sociétaires ».

Nous avons dit qu’il n’existait à l’époque qu’une société ouvrière de production, sans cesse donnée en exemple par les rédacteurs de l’Atelier. Cette association des ouvriers bijoutiers en doré n’était d’ailleurs connue du public que sous la raison sociale Leroy-Thibaut et Compagnie. Buchez en avait été l’inspirateur. Elle comptait dix-huit membres, tous catholiques pratiquants, car c’était une condition essentielle d’admission. Chaque associé devait communier au moins une fois l’an, on commençait les assemblées par la lecture d’un chapitre de l’Évangile et, le dimanche, les apprentis étaient conduits à la messe.

En cela, ils se comportaient en fidèles disciples de Buchez. « Comme c’était une grande œuvre de transformation sociale qu’on se proposait, dit Corbon, et qu’il s’agissait moins pour les fondateurs de s’affranchir personnellement que de se dévouer à l’affranchissement du peuple entier, c’était à un véritable apostolat qu’on les appelait. Aussi regardions-nous comme condition essentielle de succès la parfaite concordance des opinions politiques et morales entre les associés… C’était quelque chose comme un ordre religieux et socialiste institué au sein de la société civile, et pour la régénérer. »

Si peu nombreux qu’ils fussent, et si homogènes par leur foi religieuse commune, les associés n’en étaient pas plus d’accord pour cela. Ils durent même plaider contre deux d’entre eux qui avaient tenté de s’emparer des fonds qui leur avaient été confiés et qui étaient placés sous leur nom. La société