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les brochures de propagande démocratique et révolutionnaire dont nous avons parlé. Quant aux ouvrages des théoriciens socialistes, saut celui de Cabet, qui eut un succès énorme, ils ne les lisaient point, étant inabordables par leur texte autant que par leur prix. Louis Blanc, avec sa Revue du Progrès, n’a pas encore pénétré jusqu’au peuple. Il prépare son livre l’Organisation du travail, qui lui vaudra de nombreux et fidèles partisans dans la classe ouvrière. Mais, devant consacrer un chapitre aux systèmes socialistes de cette époque et à leur propagande, bornons-nous aux publications qui, d’une manière permanente ou occasionnellement, s’occupent des travailleurs.

Parmi les journaux quotidiens, on ne peut citer que le National, qui, à ce moment, examine la question ouvrière avec quelque attention et quelque bienveillance. Armand Marrast, à son retour d’exil, en avait pris la direction. Il n’avait pas vis-à-vis de la question sociale le parti-pris hostile d’Armand Carrel, auquel il succédait ; mais il ne l’abordait qu’avec crainte et embarras. Ce « petit marquis de la révolution » ne passait pas ses nuits sur de si redoutables problèmes.

On n’en ignorait pas absolument les données, cependant, au National, et il arrivait qu’on pût lire des articles où se trouvaient ces constatations, qui contiennent toute la critique socialiste : « Émancipé légalement, le travailleur est en réalité plus esclave que jamais. C’est la faim qui l’oblige à défaut de la loi ; car quelle sorte d’égalité se rencontre entre le travailleur qui est forcé d’accepter pour avoir du pain le travail qu’on lui offre, aux conditions qu’on y met, et le capitaliste qui peut attendre que la faim lui livre sa victime ?… Tandis que la propriété territoriale se démocratise chaque jour en se divisant, la propriété industrielle et manufacturière se concentre, se monopolise et tend à constituer une véritable et puissante féodalité. »

Le National estime qu’en donnant la liberté aux ouvriers, la démocratie aura rempli envers eux toutes ses obligations. Aussi, n’a-t-il que critiques contre les socialistes, dont les uns ne songent qu’à la satisfaction des intérêts matériels et les autres appellent sans cesse l’État à leur secours. La liberté suffira aux ouvriers. Ce sera à eux de savoir s’en servir. L’Atelier est fréquemment complimenté de savoir employer la bonne méthode et subordonner les réformes sociales à la réforme électorale. Aussi, les communistes, révolutionnaires ou non, ainsi que les phalanstériens, montraient ouvertement leur antipathie envers un journal qui se disait l’organe de la démocratie et dont le programme tournait court dès qu’il avait demandé le droit de coalition pour les salariés comme pour les patrons et la nomination de prud’hommes ouvriers.

Un autre journal républicain, hebdomadaire celui-là, le Journal du Peuple, tentait de grouper la jeune, démocratie, à qui non plus le National ne pouvait suffire. Dupoty, qui le dirigeait, était aussi mondain que Marrast. Son journal fut cependant plus hospitalier à la question sociale et aux ques-