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trouvé. L’évocation des babouvistes suscita des « exclamations diverses » sur les bancs de la Chambre.

« Moi, disait l’orateur, j’ai aperçu, dans ces solutions si vantées, au milieu de quelques bonnes idées qui doivent être propagées par la parole et par l’action, des choses qui sont contraires à toute idée sociale, à tous les bons sentiments que la nature a déposés dans le cœur humain… Je voudrais que la Chambre des députés, par sa composition, par sa marche, par ses actions, se substituât à des empiriques audacieux qui emporteront le malade avec le mal. » Il oubliait que toute science a sa source dans l’empirisme et que les alchimistes ont préparé les voies de la chimie.

Émus par les paroles d’Arago, les travailleurs parisiens organisèrent une délégation de presque tous les corps de métiers, qui se rendirent le 24 mai à l’Observatoire pour porter au savant les remerciements de la classe ouvrière.

« Qu’ils le sachent bien, nos prétendus hommes d’État, lui dit leur porte-parole, le peuple n’en est pas aujourd’hui à douter de l’insuffisance de nos institutions… qu’ils le sachent bien, le peuple a vu dans un tel déni de justice la preuve de leur impuissance radicale, en face d’un mal trop grand, d’une situation trop effrayante. » Arago remercia la délégation. « J’ai été heureux de vous entendre placer l’étude au nombre de vos moyens de succès, » dit-il promit de persévérer à « défendre avec ardeur et persévérance les intérêts des classes ouvrières ».

Mentionnant cet incident, M. Thureau-Dangin constate « l’effet que devait produire sur des esprits ainsi excités la parole d’un député considérable, d’un bourgeois illustre, tel que M. Arago ». Ces esprits excités ont cependant manifesté d’une manière bien calme contre l’injurieuse insouciance de la Chambre bourgeoise vis-à-vis de leur détresse.

Mais y a-t-il excitation dans la classe ouvrière, au moment où nous sommes ? Elle a laissé Blanqui et Barbès, il y a un an à peine, l’appeler aux barricades et ne s’est pas émue. L’hiver qui, pour les pauvres, ajoute le chômage à ses rigueurs, vient de faire ses ravages. Proudhon écrit en décembre 1839 qu’il y a à Paris « trente mille tailleurs qui ne font rien : autant, à proportion, des autres états : on porte à cent cinquante mille le nombre des ouvriers sans ouvrage ».

Proudhon se demande comment ils vivent. « Voici, dit-il, l’explication de ce phénomène : ce ne sont pas toujours les mêmes qui chôment ; mais ils travaillent tour à tour, un jour, deux jours par semaine, sans que cette succession ait d’ailleurs rien de fixe. » On voit que les choses n’ont pas changé depuis soixante-cinq ans sous ce rapport.

Quand, faute de commandes, l’employeur veut congédier une partie de son personnel en ne conservant que les plus anciens, il arrive que ceux-ci lui offrent de partager entre tous les ouvriers le travail et le salaire qu’il se proposait de leur réserver. C’est ainsi qu’en octobre-novembre 1839 agirent