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journée et les autres conditions protectrices. Il alléguait la différence qui existe entre les professions et l’impossibilité de réglementer d’une manière uniforme. C’était montrer une bien grande confiance dans la sollicitude des pouvoirs publics.

Le baron de Morogues, qui, nous le savons, avait étudié les conditions misérables de la classe ouvrière, n’intervint dans la discussion que pour marquer les différences qui existaient entre le projet du gouvernement et celui de la commission. Mais il n’y avait plus en réalité de projet du gouvernement, le nouveau ministre du commerce, Gouin, se bornant à soutenir le principe commun aux deux projets.

Montalembert vint dire la pensée de la droite, la rancune de la propriété ancienne, paresseuse et rentière, contre la propriété nouvelle, ardente au labeur et au gain. Il attaqua « l’industrie casernée », il montra « l’industrie des filatures et autres usines de ce genre, qui arrache le pauvre, sa femme, ses enfants, aux habitudes de la famille, aux bienfaits de la vie des champs, pour les parquer dans des casernes malsaines, dans de véritables prisons, où tous les âges, tous les sexes sont condamnés à une dégradation systématique et progressive. »

À ce lamentable tableau qui n’était pas trop chargé, il opposait l’antique industrie de famille « exercée sous le chaume, au coin du foyer paternel ». Celle-là, s’écria-t-il, est un bienfait. « Il ne lui restait qu’à expliquer par quel sortilège les ouvriers qui étaient si heureux dans cet atelier patriarcal le fuyaient pour se « parquer » dans les « prisons » et les « casernes » de la nouvelle industrie.

Il eût pu montrer qu’ils étaient bien forcés de suivre le travail dans les transformations que lui faisaient subir les industriels. Mais il n’eût pu le faire qu’en avouant que les propriétaires ruraux, acharnés à recueillir leur rente du sol, payaient moins cher le travail que les manufacturiers, et il les eût contredits dans leurs doléances, puisque déjà, à cette époque, ils se plaignaient de manquer de « bras ». Il préféra se rejeter sur l’impiété du siècle, qui sapait les institutions les plus vénérables.

Le duc de Praslin s’attacha surtout à démontrer que la loi n’était pas une innovation. Il allégua l’exemple de l’Angleterre, de la Prusse, de l’Autriche. À quoi un de ses collègues répliqua ironiquement que ces deux derniers pays ne jouissaient pas du régime parlementaire. Il invoqua comme précédent en France la loi de 1813 sur le travail des enfants dans les mines et travailla ainsi très opportunément à rassurer ceux qui n’osent rien entreprendre sans s’appuyer sur un précédent.

Gay-Lussac critiqua le projet, l’attaqua dans son principe même. Ce savant était, en économie politique, de la plus stricte observance libérale. Il affirma hautement la théorie du patron « maître chez lui ». Mais s’il laissait l’enfant en proie à l’exploitation intensive de ses forces, du moins voulait-il que le travail ne fût pas meurtrièrement insalubre. Et il accusa les auteurs du projet d’avoir négligé ce point, qu’on ne devait apercevoir que cinquante ans plus tard. Selon lui, ce n’était pas le travail qui était nuisible, même prolongé, mais les conditions dans lesquelles il était accompli. Un physiologiste eût aisément contredit l’illustre physicien. Mais il n’y en avait pas dans la haute assemblée.