bon nombre d’ouvriers se croient autorisés à frapper les apprentis rattacheurs. » Blanqui porta devant l’Académie des sciences morales les faits d’exploitation à outrance du travail des enfants. Il cita ce dire effroyable du Dr Gasset, qui ne nous paraît pas exagéré, à présent que nous avons suivi les enquêteurs dans leurs lugubres tournées à travers la France du travail :
« À Lille, il meurt avant la cinquième année, dit le Dr Gasset, un enfant sur trois naissances dans la rue Royale (le beau quartier), sept sur dix dans les rues réunies, et dans la rue des Étaques, considérée seule, c’est, sur quarante-huit naissances, quarante-six décès que nous trouvons. Au fléau, il faut une barrière ; il faut qu’en France on ne puisse pas dire un jour comme à Manchester que, sur vingt et un mille enfants, il en est mort vingt mille sept cents avant l’âge de cinq ans ! En attendant, nous ne cesserons de répéter : là, à deux pas de vous, dans la demeure de l’ouvrier, sur vingt-cinq enfants, un seul peut atteindre la cinquième année. Qu’on vienne, après cela, nous parler de l’égalité devant la mort ! »
On éprouve un soulagement, en face de ces faits, de voir quelques patrons de Sedan, « qui en avaient besoin, refuser des enfants de dix à douze ans, qu’on aurait certainement admis partout. Donnez encore à cet enfant, disaient-ils, une ou deux années pour qu’il se développe ; pendant ce temps, envoyez-le à l’école, afin qu’il puisse un jour devenir contremaître, et après je vous le prendrai. »
La loi projetée limitait à huit ans l’âge d’admission des enfants dans les manufactures. De huit à douze ans la journée était de huit heures ; de douze à seize ans, elle s’élevait à douze heures. L’application de la loi serait contrôlée par les préfets, les sous-préfets, les maires et les commissaires de police ; de plus, le gouvernement nommerait des inspecteurs.
La discussion à la Chambre des pairs se poursuivit dans les derniers jours de mars sans éveiller l’attention du public. Il semblait qu’elle discutât une loi d’intérêt local. L’économiste Rossi vint affirmer la nécessité d’une réglementation du travail, mais critiqua les inégalités que le projet créait entre les petits travailleurs. Pourquoi les enfants d’une manufacture où les métiers étaient mus à la vapeur recevaient-ils protection, et non ceux qui étaient occupés dans un chantier, un atelier ou une manufacture où il n’y avait que des machines à bras ou des outils ?
L’objection était juste. Les jeunes enfants voués au travail prématuré étaient égaux devant la souffrance et le surmenage. Mais la loi ne pouvait passer qu’avec l’appui des grands seigneurs de la propriété terrienne, ennemis du machinisme industriel. D’autre part, c’était surtout dans l’industrie textile que l’on employait les tout petits : c’était là vraiment le massacre des innocents. Protéger ceux-là était donc la tâche urgente.
Le comte Rossi eût voulu que la loi se bornât à affirmer sa protection des jeunes enfants employés au travail salarié et que pour les catégories de travail un règlement d’administration vînt fixer l’âge d’admission, la durée de la