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La dotation Nemours raviva toutes les polémiques sur l’avidité du roi à pourvoir ses enfants. Cormenin se distingua naturellement dans le flot de brochures et d’articles que les cinq cent mille francs de rente à donner au fils du roi firent surgir, en même temps que de partout les pétitions affluaient à la Chambre, la suppliant de ne rien voter, puisqu’en montant sur le trône Louis-Philippe avait fait donation de ses immenses biens à ses enfants.

Ces bourgeois, dit ironiquement Henri Heine, « avaient complètement perdu le sens monarchique. De là l’aveuglement avec lequel ils se plaisaient à humilier, à ébranler, à entraver une royauté qu’au fond, cependant, ils eussent été épouvantés de voir disparaître. » De son côté, Proudhon relève avec sa verdeur accoutumée l’inconséquence de gens qui veulent un roi et liardent sur ce qu’il coûte : « Qui veut le roi, fait-il, veut une famille royale, veut une cour, veut des princes du sang, veut tout ce qui s’ensuit. Le Journal des Débats dit vrai : les bourgeois conservateurs et dynastiques démembrent et démolissent la royauté, dont ils sont envieux comme des crapauds. »

Les « crapauds » l’emportèrent. Le 20 février, par 26 voix de majorité, la Chambre rejeta la dotation. Il ne restait plus aux ministres qu’à se retirer. Le roi avait voulu Sébastiani, il dut accepter Thiers, qui inaugura son ministère le 1er mars 1840.


CHAPITRE VI


LES GRÈVES DE 1840


Discussion de la loi sur le travail des enfants. — Le massacre des innocents. — Arago demande à la Chambre l’organisation du travail. — Misère et solidarité des ouvriers parisiens. — La grève des tailleurs : on veut leur imposer le livret. — Les cordonniers se mettent également en grève. — Interdiction des réunions, bagarres dans les rues. — La grève s’étend aux industries du bâtiment. — Arrestations en masse ; nombreuses et dures condamnations. — Les grévistes se retirent sur les buttes Chaumont. — Les communistes essaient de diriger l’action ouvrière. — La presse ouvrière ; le journal l’Atelier et la théorie de l’association.


Parmi les projets de lois que lui léguèrent ses prédécesseurs, le ministère du 1er mars en appuya un tout d’abord, déposé en 1838, et, bien plus par les hasards de l’ordre du jour de la Chambre des pairs que par la volonté de Thiers, la loi sur le travail des enfants dans les manufactures fut votée. C’est le premier pas de la législation protectrice du travail en France. Cette loi qui fixe à huit ans l’âge d’admission des enfants dans les manufactures vient près de quarante ans après la loi anglaise sur les enfants loués aux fabricants par les paroisses.

Jusque-là, dans nos lois si nombreuses, rien pour les plus faibles, les plus désarmés d’entre les ouvriers, rien que le décret du 3 janvier 1813 qui limite à dix ans l’âge du travail des enfants dans les mines. Ce même décret nous en dit long sur la manière dont les exploitants miniers se débarrassaient de leur responsabilité quand un éboulement ou une inondation, ou toute autre catastrophe causée par