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des bons, proscrit par les méchants ». Un bruit dans la prison lui ayant fait croire que le moment était venu, il s’écriait : « Saint-Just, Robespierre, Couthon, Babeuf, et vous aussi, mon père, ma mère, qui m’avez porté dans vos entrailles, priez pour moi, voici mon jour de gloire qui vient ! »

C’était la grâce qui allait venir. Suivant son penchant naturel, Louis-Philippe résista aux conseillers de vengeance et de sang. Il commua la peine de Barbès en travaux forcés, puis en déportation. Les condamnés furent transportés au Mont-Saint-Michel, où Blanqui ne tarda pas à les rejoindre, ayant été arrêté le 14 octobre au moment où il montait en diligence pour gagner la Suisse. Condamné à mort en tête de la fournée de trente qui comparut devant les Pairs le 14 janvier 1840, Blanqui vit également sa peine commuée en celle de la déportation tandis que ses co-accusés étaient frappés de peines variant de quinze à deux années de prison.

Louis-Philippe bénit en son cœur ce mouvement insurrectionnel si peu dangereux pour son trône et qui lui permettait de réaliser une fois de plus sa « pensée immuable », le gouvernement personnel. Mais si le maréchal Soult est bien le premier commis qu’il lui faut, il y a dans le cabinet un ministre, Villemain, fort bon catholique, mais que son attachement à l’Université portera à la défendre pied à pied contre l’enseignement congréganiste.

Ce n’était pas ce ministre-là qui reprendrait le projet déposé par son prédécesseur Guizot, en 1836, à la grande joie du roi, sur l’enseignement secondaire. Ce projet autorisait les particuliers à fonder des établissements sans autres garanties que certaines conditions de grades et de moralité. La Chambre, heureusement y avait ajouté que tout directeur d’établissement libre d’enseignement devrait déclarer par écrit qu’il n’appartenait pas à une congrégation non autorisée en France. Le roi, alors, avait fait retirer le projet. Il ne pouvait pas compter sur Villemain pour en présenter un semblable.

La coalition n’avait aucune raison pour désarmer devant le nouveau cabinet, au contraire. Dès les premiers jours de janvier 1840, elle était partie en campagne et Thiers avait fait une brillante critique de la politique extérieure, notamment dans les affaires d’Orient. Il crut original de renouveler un peu le magasin d’idées mégalomanes du libéralisme en donnant à l’alliance franco-anglaise le caractère d’un partage d’influence universelle : à la France, l’Europe continentale ; à l’Angleterre, nation maritime, le reste du globe.

Mais la véritable attaque se produisit sur le projet de dotation au jeune duc de Nemours, présenté cette fois encore, sur les instances de Louis-Philippe, que ne rebutait aucun échec, et peut-être désireux, en l’envoyant se faire battre par la Chambre, de se débarrasser d’un ministère où se manifestaient des velléités d’indépendance : Passy était trop fier pour être un commis en sous-ordre ; Dufaure avait de la raideur et de la brusquerie et Teste des tendances libérales, Villemain défendait l’Université contre les jésuites. Le roi les envoya à la bataille sans regret, tout prêt à prendre Sébastiani si la Chambre battait le maréchal Soult.