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enlevé. Mais la préfecture a eu le temps de se mettre en. défense, des fenêtres de la rue de Jérusalem on tire sur les révolutionnaires qui rétrogradent sur la place du Châtelet, d’où, joints aux hommes de Blanqui et de Martin-Bernard, ils se dirigent vers l’Hôtel de Ville.

Tout cela, dans le vide d’une foule effarée, que la curiosité n’entraîne même point sur leurs pas, que l’incompréhension encore plus que la crainte tient muette et distante, étrangère au drame qui se joue. De quel regard Blanqui les voit-il, ces familles dont sa course haletante gêne la joie dominicale ? Le font-elles songer à l’enfant qui babille, à la femme qui tremble dans le petit jardin des bords de l’Oise ? Non, sans doute. Il se dit que rien n’est perdu encore pour la révolution. Tout à l’heure on lancera des fenêtres de l’Hôtel de Ville les décrets qui annoncent au peuple un nouveau gouvernement. Ce gouvernement, le peuple l’acceptera, comme tous ceux qui lui ont été lancés de ces fenêtres historiques, avec d’autant plus de joie que, cette fois, c’est le sien qu’on va lui donner, c’est sa propre souveraineté qui va être proclamée.

L’Hôtel de Ville est envahi par les insurgés, à peine assez nombreux pour paraître l’occuper, dans ce vaste désert des salles, des bureaux et des couloirs que fait le dimanche. Les chefs, cependant, se retrouvent, s’apprêtent à rédiger les décrets essentiels par quoi le pouvoir s’affirme, en attendant qu’il soit. Et dans le roulement des tambours qui rassemble les gardes nationaux et les soldats autour de l’Hôtel de Ville et les fait bientôt plus nombreux que la foule. Barbès s’empare de la proclamation rédigée par Blanqui et la lit, non au peuple absent, mais aux insurgés qui se bousculent et déjà sont inquiets de savoir comment ils sortiront de cette grande maison vide résonnante de tout le bruit qui retentit autour d’elle et domine celui qu’ils y font eux-mêmes.

Voici cette proclamation qui appelait le peuple aux armes et qui le laissa indifférent plus encore par surprise que par hostilité :

« Aux armes, citoyens !

« L’heure fatale a sonné pour les oppresseurs.

« Le lâche tyran des Tuileries se rit de la faim qui déchire les entrailles du peuple, mais la mesure de ses crimes est comblée, ils vont enfin recevoir leur châtiment.

« La France trahie, le sang de nos frères égorgés crient vers vous et demandent vengeance ; qu’elle soit terrible, car elle a trop tardé ; périsse enfin l’exploitation et que l’égalité s’asseye triomphante sur les débris confondus de la royauté et de l’aristocratie ! Le gouvernement provisoire a choisi des chefs militaires pour diriger le combat, ces chefs sortent de vos rangs ; suivez-les, ils vous mèneront à la victoire.

« Sont nommés :

« Auguste Blanqui, commandant en chef ; Barbès, Martin-Bernard, Guignot, Meilland, Nettré, commandants des divisions de l’armée républicaine.

« Peuple, lève-toi, et tes ennemis disparaîtront comme la poussière devant