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CHAPITRE V


L’ÉMEUTE RÉSOUT LA CRISE


Nouvelle tentative insurrectionnelle. — État des forces révolutionnaires parisiennes. — Mésintelligence entre les chefs, indiscipline chez les soldats. — Barbès attaque la Préfecture de police. — L’Hôtel de Ville occupé par les insurgés. — L’appel aux armes laisse la population indifférente. — Acculée aux barricades, l’émeute est vaincue. — Après la défaite.


On est au 12 mai. Les Parisiens endimanchés rient au printemps réparateur d’une dure année de crise et de chômage. Précédés des enfants raidis dans leurs vêtements neufs, les couples légitimes se dirigent vers les boulevards, d’où ils pousseront jusqu’aux Champs-Élysées, les plus endurants jusqu’au bois de Boulogne. Quant aux autres, ceux qui n’ont pour loi que l’amour ou la fantaisie, clercs et grisettes, calicots et demoiselles de magasin, ils se sont envolés dès le matin vers leur banlieue préférée.

Soudain un chant retentit, qui range les familles sur les trottoirs. Et devant leurs yeux étonnés défile sur la chaussée un groupe d’hommes armés qui appellent le peuple à la révolution et s’y jettent résolument. Les boutiquiers qui n’ont pas fermé leurs devantures se précipitent sur leurs volets, mais avant qu’ils les aient posés, la troupe chantante est déjà passée ; nul dans la foule surprise ne lui a fait écho, ne l’a suivie dans sa course à la mort. Et ce passage rapide de la révolution en armes alimente les causeries du pas de porte, où les gens établis démontrent aux concierges respectueux que le temps des révolutions est passé, et qu’un bataillon de municipaux suffira pour disperser cette poignée de braillards.

Qu’est-ce donc que ces hommes dont la fureur emportée vient de traverser l’indifférence des flâneurs en y laissant à peine un frémissement, tel un navire fugitif dont le mouvement des flots a vite effacé le sillage ?

Ce sont les inlassables soldats de la République, patiemment enrégimentés par Blanqui, les survivants de Saint-Merri et de Transnonain, qui tentent un dernier et suprême assaut, confiant à la force le soin de détruire ce que la ruse édifia et, mesurant l’impatience du peuple à ses souffrances, croient qu’il suffira de l’appeler aux armes, de lui montrer qu’on en a, pour qu’il se lève et installe sur les pavés bouleversés sa souveraineté reconquise.

Cette journée est à Blanqui. C’est lui qui l’a voulue, longuement méditée dans la solitude de Jancy, en a réglé les détails et surveillé les préparatifs. Douze cents hommes ont été un à un affiliés aux Saisons. Des journaux clandestins, le Moniteur Républicain d’abord, l’Homme libre ensuite, leur ont enseigné que la