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de Duvergier de Hauranne et condamnait hautement la coalition. En revanche, Dupin ainé, flairant le succès prochain, intervenait pour elle et rompait la neutralité présidentielle dans une des séances de la commission chargée de rédiger l’adresse.

La discussion de l’adresse eut lieu, et au vote le gouvernement ne remporta que de treize voix, parmi lesquelles il faut compter celles des ministres. C’était au ministère de s’en aller : ce fut la Chambre qui partit. Elle fut dissoute le 2 lévrier 1839, et pour la seconde fois le comte Molé présida aux élections.

Il opéra avec la désinvolture d’un grand seigneur, aidé par Montalivet, ministre de l’Intérieur, dont M. Thureau-Dangin lui-même dit que « son zèle ne redoutait pas les compromissions ». L’écrivain monarchiste avoue qu’il se peut que, dans cette élection où jouèrent la violence, l’intrigue, la pression et la corruption, « la juste mesure ait été parfois dépassée et qu’il y ait eu, en plus d’une circonstance, ce qu’on a appelé « l’abus des influences », car « M. Molé n’était pas scrupuleux en pareille matière ». Tout en déclarant que le National exagérait en s’écriant : « La corruption coule à plein bord », et en protestant contre les « hyperboles d’opposition » dont « il faut toujours beaucoup rabattre », M. Thureau-Dangin n’en est pas moins forcé de convenir de certains faits qui justifient la protestation du National.

Le ministère Molé usa « de tous les moyens d’influence administrative » en faveur de ses candidats, nous dit M. Thureau-Dangin. « Les faveurs de l’administration, ajoute-t-il, les places, tendaient, de plus en plus, à devenir la monnaie courante avec laquelle on payait les votes. Sur 459 députés, on ne comptait pas moins de 191 fonctionnaires. » Quant aux électeurs, on les travaillait, non seulement au moyen de toutes les forces de promesse et d’intimidation que le pouvoir avait à sa disposition, mais encore par les journaux, « grâce aux subventions libéralement distribuées par M. Molé ».

« Le ministère, nous dit l’historien de la Monarchie de Juillet, à qui je continue d’emprunter ces citations, avait alors à son service le Journal des Débats, la Presse, la Charte de 1830, le Temps. Depuis peu, il avait en outre enlevé aux doctrinaires l’un de leurs organes, le Journal de Paris. En outre, M. Molé s’était assuré le concours personnel de certains rédacteurs des feuilles de gauche. »

Si ce n’est pas là de la corruption, que faut-il à M. Thureau-Dangin ? Il nous dit que Thiers et Guizot en avaient fait autant, et que, « depuis on a fait mieux » Soit, mais le comte Molé avait beau corriger, ou du moins voiler « par son excellente tenue et la parfaite dignité de ses manières, ce que la besogne avait parfois d’un peu suspect », ce n’en était pas moins la falsification organisée des volontés de ce qu’on appelait alors le pays légal.

À bon chat bon rat, d’ailleurs. Thiers et Guizot, qui savaient de quelle pâte sont pétris les fonctionnaires et comme la crainte du ministre d’hier et de demain paralyse leur zèle pour le ministre d’aujourd’hui, lancèrent un « appel aux fonctionnaires dévoués », qui ne contribua pas pour peu à la victoire de la coalition.