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enseignement de servitude, et demeurer elle-même incroyante. Tout au moins devait-elle faire semblant de croire. Elle livra ses enfants aux congrégations enseignantes, jésuites en tête, qui reparaissaient un peu partout, tandis qu’elle livrait les enfants de ses ouvriers aux frères des écoles chrétiennes. Pour les filles de la classe ouvrière, c’était bien simple : s’étant presque absolument désintéressé de leur instruction, l’État les livra aux écoles des deux cent vingt congrégations de femmes qu’il autorisa en l’espace de moins de douze ans.

Les jésuites, rentrés dans leur maison de Saint-Acheul fermée sous Charles X, poussaient leurs élèves à l’École Normale et à l’École Polytechnique, installant ainsi leur puissance dans l’Université même, dans l’armée, la haute administration et les fonctions supérieures de l’industrie. Un Institut catholique essayait d’entamer les éléments intellectuels de la classe dirigeante par des cours et des conférences littéraires et scientifiques pour lesquels certaines églises de Paris fournissaient parfois le local.

Lacordaire, après avoir montré l’habit de dominicain dans la chaire de la cathédrale de Bordeaux, allait l’arborer dans la chaire de Notre-Dame, dans ces célèbres conférences pour les hommes auxquelles devait se ruer la bourgeoisie. Le père Ravignan l’y précédait en 1837, le souple jésuite frayant la voie à l’audacieux dominicain. L’éloquence sobre et ferme du premier préparait les esprits aux audaces et aux véhémences du second. La Compagnie gardait d’ailleurs la haute main sur toutes les congrégations, étant toute puissante à Rome. Ses établissements s’étaient accrus au point qu’en 1836, elle dut dédoubler sa province de France, avoir un provincial à Paris et un à Lyon.

L’argent affluait pour toutes ces œuvres, tous moyens étant bons pour l’attirer. Les jésuites préludaient à la résurrection du grossier fétichisme matériel que Lourdes, le Sacré-Cœur et Saint-Antoine de Padoue ont tant développé depuis. Les indulgences se vendaient couramment au prix fait de quinze francs, et pour 21 fr. 50 on avait le droit de lire Voltaire sans pécher. Il y avait des tarifs pour les reliques, et l’on pouvait s’en procurer moyennant 3 fr. 50, mais à ce prix, elles étaient moins efficaces et ne conduisaient pas tout droit au Ciel leur possesseur. On vendait aux illettrés des lettres autographes de Jésus-Christ et de la Sainte-Vierge, des relations de miracles accomplies par des médailles de l’Immaculée-Conception, des imageries grossières qui bouleversaient les lois de la nature et mettaient à l’envers les têtes faibles.

Partout les processions, les pèlerinages, réunissaient les confréries et les congrégations, activant leur propagande, éblouissant les simples, les entraînant par les exercices dévots dont la répétition mécanique produisait des effets d’hypnotisme collectif. Rien que par des donations autorisées, et la loi empêchait les congrégations prétendument dissoutes d’y prendre part, quatre-vingt mille francs de rente s’ajoutaient chaque année au trésor de l’Église. C’est dire à quel chiffre devait s’élever le revenu, acquis de cette manière et grâce à des prête-noms, par les congrégations non autorisées, de beaucoup les plus actives et les plus puissantes.