Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/351

Cette page a été validée par deux contributeurs.

statuts, était « de porter des consolations aux malades et aux prisonniers, de l’instruction aux enfants pauvres, abandonnés ou détenus, des secours religieux à ceux qui en manquent au moment de la mort. »

Soyons équitable. Cet objet, elle le remplit largement, et même le dépassa. Ses « conférences » de Paris, Nîmes, Dijon, Toulouse, Lyon, Nantes, Rennes, s’occupèrent activement à suppléer à l’insouciance des pouvoirs publics. Les membres de la société se multipliaient pour arracher les enfants à la faim et au vice, leur procurer un apprentissage sérieux en les plaçant chez des patrons soucieux de leurs devoirs. Ils fondèrent des crèches qui arrachèrent à la mort des milliers de petits êtres, des écoles pour les adultes, des patronages pour soustraire les jeunes gens à la contagion du vice, des hospices pour les vieillards.

Mais ces services rendus ainsi aux déshérités en l’absence presque absolue, et souvent à la fois dérisoire et injurieuse, d’institutions sociales de secours aux faibles et aux abandonnés, n’atteignaient qu’une portion infime de cette population misérable. Et d’autre part, quels que fussent le dévouement et les charitables intentions des membres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, leur œuvre était avant tout une œuvre de prosélytisme catholique. Ils arrachaient un enfant à la mort ou au vice, mais c’était pour donner un homme à l’Église, arracher un combattant à la cause de la libération sociale et le tourner contre elle, tenter de restaurer dans les foules ouvrières les antiques sentiments de soumission et de résignation.

Ils achetaient des consciences pour un morceau de pain, spéculaient sur la détresse des veuves qui voyaient dépérir leurs enfants, sur le chômage des ouvriers chargés de famille. Ils ne supprimaient pas la misère, mais bien plutôt essayaient d’y acclimater ses victimes en les détournant de toute espérance terrestre. On a vu, par les scandales récents des ouvroirs et orphelinats du Bon Pasteur et par ceux du placement des orphelins par des courtiers ecclésiastiques affublés d’un faux petit manteau bleu, à quelle cruelle et rapace exploitation du travail enfantin peuvent conduire des œuvres semblables à celle dont, en 1833, Frédéric Ozanam jeta les fondements.

À côté de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, qui déclare dans ses statuts ne pas se mêler de politique, déclaration de style qui ne trompe personne, se fonde le Cercle catholique, où se groupent les chefs du parti légitimiste, l’Association pour la propagation de la foi, qui ralliera bientôt sept à huit cent mille affiliés et verra s’enfler sa caisse chaque année de plusieurs millions, la Société des Amis de l’Enfance, dont le titre dit l’objet, et celle de Saint-François-Xavier, qui n’a pas pour but de rendre hommage au célèbre jésuite miraculé mais, dit M. Debidour, « d’endoctriner et d’embrigader la classe ouvrière. »

Et, tandis qu’elle travaillait ainsi le peuple, l’Église s’occupait à reconquérir la bourgeoisie, d’ailleurs fort disposée à se laisser faire et à chercher dans la religion et ses disciplines le moyen de préserver ses richesses de toute agression. La bourgeoisie ne pouvait aider les congrégations à reconquérir le peuple, à lui donner un