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et content de lui. Vous l’auriez fait pâlir si, prenant votre Dieu déshonoré, le bâton à la main et le chapeau sur la tête, vous l’eussiez porté, dans quelque hutte faite avec des branches de sapin, jurant de ne pas l’exposer une seconde fois aux insultes des temples de l’État. »

Mais ce n’était pas dans des huttes faites de branchages que le clergé entendait loger son Dieu. Aussi Montalembert, le politique du parti ultramontain, s’élève-t-il contre cette « conséquence extrême, injuste et dangereuse », qui ne va rien moins en effet, qu’à séparer complètement l’Église de l’État, et en attendant à montrer l’extrême inconvénient de leur association, puisque l’Église, ainsi, n’est pas libre de régler sa discipline à son gré.

Mais le public ne raisonnait pas si avant. La religion est une institution d’État, ses prêtres sont des fonctionnaires, les églises sont des édifices publics : donc, tout citoyen catholique qui les réclame a droit aux services de la religion et de ses ministres. Ce raisonnement, en somme, n’était pas si faux, et il avait guidé jusque-là l’attitude des divers pouvoirs vis-à-vis de l’Église et devait, avec des différences de forme, la régler jusqu’au moment, enfin venu aujourd’hui, de la séparation définitive.

Ce qui surtout agitait la partie éclairée de l’opinion, c’était de voir l’entente ouverte, avouée, du gouvernement et de la puissance cléricale. Tandis qu’armé de la loi de 1834 le pouvoir traquait impitoyablement les associations, non seulement politiques, mais celles qui voulaient se former pour répandre l’enseignement et l’hygiène parmi les travailleurs, des associations religieuses, objet de toutes les tolérances, sinon de toutes les faveurs administratives, s’organisaient dans la France entière.

Il faut citer en premier lieu la célèbre Société de Saint-Vincent-de-Paul, essentiellement laïque, mais absolument subordonnée à l’Église, fondée par Ozanam en 1833. Écoutons-le entonner le chant de triomphe, vingt ans après, dans un discours où il affirme la force de l’association pour l’augmenter encore :

« Je me rappelle que, dans le principe, un de mes bons amis, abusé un moment par les théories saint-simoniennes, me disait avec un sentiment de compassion : « Mais qu’espérez-vous donc faire ? Vous êtes huit jeunes gens et vous avez la prétention de secourir les misères qui pullulent dans une ville comme Paris ! Et quand vous seriez encore tant et tant, vous ne feriez pas grand chose, Nous, au contraire, nous élaborons des idées et un système qui réformeront le monde et en arracheront la misère pour toujours ». Vous savez, messieurs ; à quoi ont abouti les théories qui causaient cette illusion à mon pauvre ami. Et nous, qu’il prenait en pitié, au lieu de huit, à Paris seulement nous sommes deux mille, et nous visitons cinq mille familles, c’est-à-dire environ vingt mille individus, c’est-à-dire le quart des pauvres que renferment les murs de cette immense cité ».

Cette société de Saint-Vincent-de-Paul rayonnait sur toute la province et avait des sections à l’étranger ; en 1836 elle était déjà une puissance, grâce « au concours discret de l’Église », nous dit M. Debidour, Son objet apparent, d’après ses