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tionnelle, fondée par Cauchois-Lemaire, celle des Trois jours, et les Amis du peuple. Les deux premières eurent une existence très courte et se fondirent dans la troisième. Celle-ci, qui ne devait disparaître que sous les coups de la loi de 1834, avait une allure nettement républicaine, et une pensée socialiste surgissait parfois de ses délibérations et de ses manifestes.

Henri Heine qui, en 1832, a assisté à une des séances des Amis du peuple en rend compte en ces termes :

« Il s’y trouvait plus de quinze cents hommes serrés dans une salle étroite, qui avait l’air d’un théâtre. Le citoyen Blanqui, fils d’un conventionnel, fit un long discours plein de moquerie contre la bourgeoisie, ces boutiquiers qui avaient été choisir pour roi Louis-Philippe, la boutique incarnée, qu’ils choisirent dans leur propre intérêt, non dans celui du peuple, qui n’était pas complice d’une si indigne usurpation. Ce fut un discours plein de sève, de droiture et de colère. Malgré la sévérité républicaine, la vieille galanterie ne s’est pas démentie, et l’on avait, avec une attention toute française, assigné aux dames (aux citoyennes) les meilleures places auprès de la tribune de l’orateur. La réunion avait l’odeur d’un vieil exemplaire relu, gras et usé du Moniteur de 1793. Elle ne se composait guère que de très jeunes hommes et de très âgés. »

Dès ses premières manifestations, la société des Amis du peuple s’était attiré les réprimandes d’Armand Carrel, dans le National, et même de la Tribune, organe des républicains, qui lui conseilla de renoncer à la tradition jacobine.

La société ne renonça à rien, sinon aux séances publiques, et redoubla d’ardeur dans la propagande. Les poursuites dont l’affiche fut l’objet permirent à Hubert, l’un des accusés, de faire une profession de foi républicaine dans le prétoire : « Juges de Charles X, dit-il aux magistrats, récusez-vous ; le peuple vous a dépouillés de votre toge en rendant la liberté à vos victimes. » Les juges de Charles X, qui n’étaient pas encore devenus tout à fait ceux de Louis-Philippe, répondirent en acquittant Hubert et Thierry, ce qui était encore une manière de se récuser.

Les Amis du Peuple publiaient rapidement des brochures sur les questions à l’ordre du jour. Dans l’une de ces brochures, remises au jour par les patientes recherches de M. G. Weill, on lit cette phrase significative : « Ceux-là se trompent qui croient que le fait principal de la Restauration fut le rétablissement de l’ancien régime ; son œuvre fut surtout l’organisation de l’aristocratie bourgeoise. C’est dans l’espoir de se débarrasser de cette aristocratie déjà trop lourde de 1830 que la plupart des combattants exposèrent leur vie. »

Le 25 août, la révolution éclate à Bruxelles. La société décide aussitôt de lever un bataillon à ses frais « avec un étendard spécial » et de l’envoyer au secours des insurgés belges. Nous la retrouverons ainsi au premier rang dans toutes les protestations, dans toutes les manifestations pour l’indépendance des peuples, la liberté des citoyens, l’émancipation des prolétaires. Au rapport du policier de la Hodde, qui fit longtemps partie des sociétés secrètes et fut même un des chefs de ces sociétés, il se trouvait dans les Amis du peuple une section révolutionnaire appelée