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sentants du capital, c’était s’assurer un résultat contraire à celui qu’on espérait.

Prophétiques, certes, elles l’étaient, les paroles de Martin (du Nord). Deux ans après, il fallait, nous le verrons plus loin, sauver les compagnies en leur accordant des garanties d’intérêt et des prorogations de concession à quatre-vingt-dix ans. Les députés qui écoutaient le ministre produire son argument et annoncer les débâcles savaient bien que, le moment venu, l’État interviendrait, non pour reprendre les chemins de fer que les compagnies étaient incapables de mener à bien, mais pour leur apporter le secours du crédit et de la puissance publique.

Aussi fut-ce en vain que le ministre affirma que « l’intérêt bien entendu de la France ne lui permettait pas de déléguer l’entreprise. » Il eut beau invoquer, ce qui était la vérité même, « l’intérêt et l’avenir du pays » et montrer qu’il y avait une question de sécurité nationale à laisser aux mains de l’État « les grandes lignes de chemins de fer, surtout celles qui peuvent avoir un intérêt politique et militaire », le siège de la Chambre était fait.

En admettant que les petites lignes pourraient être concédées à des compagnies, le ministre avait donné au rapporteur prise sur lui. Arago, en effet, fit valoir que le gouvernement serait en vain maître de ses tarifs, s’il ne l’était pas des tarifs des lignes d’embranchements et de raccordement. « La seule conséquence à en tirer, dit excellemment Louis Blanc, c’est que l’État aurait dû réclamer l’exécution de toutes les lignes. » Arago chargea ensuite à fond le gouvernement, objet de son animadversion et de ses défiances, lui dénia les qualités nécessaires à l’exécution d’un aussi vaste projet, allégua l’insuffisance du budget et conclut en déclarant, au nom de la commission, « qu’il fallait se hâter de recourir aux compagnies. »

Berryer et Duvergier de Hauranne se jetèrent à fond dans le débat, et soutinrent le rapporteur. Le ministre fléchit sous ces attaques, ne défendit guère son projet. Jaubert fut à peu près seul à tenir tête. Et les lignes de Paris au Havre et de Paris à Orléans furent concédées à des compagnies pour soixante-dix ans.

C’est à ce moment que Lacave-Laplagne, ministre des finances, se présenta devant la Chambre avec un projet de conversion de la rente cinq pour cent en quatre pour cent. Cette mesure était d’un intérêt budgétaire primordial et de plus conforme à la saine raison, le taux de l’intérêt s’étant abaissé depuis l’époque où la rente avait été émise. Lors de la discussion de l’adresse, en janvier, Salverte avait, par un amendement, pressé la Chambre de donner un avis favorable. Au nom des rentiers, Lamartine s’était élevé contre la conversion.

« Je sais, avait-il dit, que je me pose comme un paradoxe à la tribune. Mais la Chambre est juste, elle ne voudra pas juger sans entendre la propriété de deux cent mille de ses concitoyens. «

Lamartine ne contestait pas le droit de remboursement en thèse générale. Mais il prétendait donner à la dette ancienne, aux rentes inscrites au grand livre de la dette perpétuelle consolidée, un caractère absolu d’irréductibilité. Cela, en effet, était paradoxal. Cela, pourtant, avait suffi à faipe rejeter l’amendement Salverte.