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Les canaux projetés par le ministère devaient relier la Marne au Rhin, la Marne à l’Aisne, suivre le cours de la Garonne latéralement et rattacher le bassin de la Garonne à celui de l’Adour. Croyant faire accepter plus facilement un vaste programme d’ensemble qui assurait la vie économique dans toutes les parties du pays et donnait satisfaction à tous les intérêts régionaux, le système des canaux et des voies fluviales complétant le réseau des chemins de fer. Martin (du Nord) avait refusé de présenter deux projets séparés.

Pour les chemins de fer, le ministre proposait tout un plan de grandes lignes reliant Paris à la mer et aux frontières du Nord, de l’Est et du Midi. Il demandait aux Chambres 350 millions pour l’exécution des lignes les plus urgentes qui étaient, à son estime, celle de Paris à la Belgique, celle de Paris à Bordeaux par Orléans et Tours, celle de Paris à Rouen, avec prolongement éventuel sur le Havre et Dieppe, enfin celle de Lyon à Marseille. En tout un tracé de 1  400 kilomètres.

Quelques jours auparavant, lors de la discussion relative au chemin de fer de Strasbourg à Bâle, on avait eu une idée des sentiments qui, dans certains milieux, accueillaient la construction des chemins de fer. « À Colmar, dit le ministre, une réclamation collective a été présentée par des cultivateurs des quatre communes de Rouffach, Gundolsheim, Maxheim et Badersheim. qui exposent les dommages que le chemin de fer doit apporter, selon eux, à l’agriculture, en morcelant les champs cultivés et les plus belles prairies de la contrée. Ce chemin aura aussi pour effet, disent-ils, de rendre les grandes routes désertes et de ruiner les industries qui font vivre les transports opérés sur ces routes ; enfin il est du devoir du gouvernement de ne pas favoriser les transactions commerciales aux dépens de l’agriculture, et par ce motif il doit refuser son assentiment au chemin projeté. »

De son côté, le rapporteur Golbéry observait qu’on avait « généralement inspiré à l’agriculture quelque défiance contre les chemins de fer » et qu’on avait travaillé les populations rurales en leur persuadant qu’ils ne profiteraient qu’à l’industrie. Par les chemins de fer, disaient les féodaux qui entretenaient ces sentiments éminemment conservateurs dans le cœur des propriétaires ruraux, on verrait diminuer le nombre des chevaux et par conséquent « baisser le prix des fourrages et celui des prairies. »

Ne rions pas. Il s’est trouvé, il y a quelques années, un conseil général, celui du Calvados, qui a manifesté de la même manière son hostilité au développement de l’automobilisme, et, afin de sauver l’élevage national, proposé de taxer fortement ces voitures mécaniques qui osent se passer de chevaux.

Le rapporteur du projet du gouvernement était Arago. Le nommer, c’est dire qu’il ne pouvait être ému par de tels arguments. Comment donc, lui savant, lui républicain, et en cette double qualité partisan du progrès et ennemi du parasitisme social et économique, comment put-il conclure au rejet du projet gouvernemental ? Son rapport fut cependant une charge à fond contre l’exploitation des