constitutionnelle, qui veut que le roi règne et ne gouverne pas. Il travailla donc à rapprocher Guizot de Thiers, et y réussit sans trop de peine. Il fut décidé que la discussion des fonds secrets serait le terrain de la bataille contre le ministère. Mais, gêné par ses souvenirs et par ses espérances, Guizot mena mollement le combat. Cet ancien et futur ministre connaissait trop l’emploi des fonds secrets pour critiquer à fond l’institution. Il déclarait d’ailleurs qu’il les voterait, quelques reproches qu’il eût à faire au gouvernement sur leur emploi. Les coalisés étaient perdus d’avance.
Cette bataille gagnée, le gouvernement en perdit une autre, plus importante, non pour l’existence même du cabinet Molé, mais pour les conséquences que cette défaite devait entraîner au cours de notre histoire économique et sociale. Très promptement, il faut le dire, le ministère se résigna à une défaite, qui n’était que celle d’un principe et le triomphe des capitalistes à l’affût des bonnes entreprises. C’est du programme d’exécution des grandes lignes de chemins de fer que je veux parler.
En 1837, l’accord était à peu près unanime pour ne concéder à des compagnies que les petites lignes de chemin de fer et pour réserver à l’État la construction et l’exploitation des grandes lignes, tant à cause de leur caractère stratégique que de leurs rapports avec le développement du commerce et de l’industrie. Et, si l’on avait demandé que l’État donnât une subvention de vingt millions au chemin de fer conduisant de Paris en Belgique, c’était précisément parce qu’on entendait, selon le vœu exprimé par Mallet, de la Seine-Inférieure, que l’État se réservât la haute main sur cette entreprise
Le 26 février 1838, croyant certaine l’approbation des Chambres, Martin (du Nord), déposait, en sa qualité de ministre des Travaux publics, un double projet de loi sur la navigation intérieure et les chemins de fer. Jaubert, un des plus fervents partisans de l’exploitation des chemins de fer par l’État, s’était fait, lors de la discussion de la concession du chemin de fer de Strasbourg à Bâle, le héraut du projet gouvernemental.
Il constatait que l’idée d’exploitation par l’État qui, l’année précédente, « s’était produite assez isolément » avait fait depuis « des progrès dans le public », et il s’en félicitait, car elle reposait « sur une idée éminemment gouvernementale ». Cependant une crainte perçait dans le discours de Jaubert, inspirée sans doute par les manœuvres auxquelles se livrait le monde des affaires, enfin averti de l’importance des chemins de fer et désireux de ne pas se laisser évincer d’un aussi excellent terrain d’exploitation. « La Chambre, disait-il, a reculé devant l’idée de livrer aux compagnies tous les chemins de fer ; elle pourra bien reculer devant l’idée de les monopoliser au profit du gouvernement ». Ce n’était pas la crainte de donner un monopole de plus au gouvernement qui allait faire reculer une Chambre dont plus du tiers de ses membres étaient des fonctionnaires, mais le désir, beaucoup plus réaliste, de donner au capitalisme le champ d’activité impérieusement réclamé au nom des saines doctrines de l’économie politique.