Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/335

Cette page a été validée par deux contributeurs.

auquel collaborent entre autres Victor Considérant, Lechevallier, Transon, Pecqueur, Just Muiron, Pellarin, Mme Vigoureux. Mais on y fait surtout de la doctrine, et on ne se préoccupe nullement de l’actualité. Aussi le journal va-t-il cahin-caha, sans aucune action sur le public. Néanmoins il aide à la propagande. Ses lecteurs éloignés appellent à eux les rédacteurs. Des conférences sont organisées méthodiquement. Considérant en fait avec succès à Orléans, Montargis, Houdan, Besançon, Metz ; Lechevallier à Paris, Bordeaux, Caen, Rouen, Nantes, mais avec moins de profit pour la cause ; Berbrugger pousse jusqu’en Angleterre. On vise non la foule, mais la bourgeoisie. À Lyon, les journaux ouvriers accueillent la doctrine dans leurs colonnes ; l’Écho de la Fabrique y adhère même, mais l’Écho des Travailleurs entend conserver son indépendance.

Le Phalanstère ne cesse de préconiser l’application pratique des plans de Fourier. Transon et Considérant, notamment, s’y attachent de toutes leurs forces. Ils sentent qu’il faut que la doctrine se prouve. « Je vais, écrit Considérant à Fourier, entreprendre la conquête d’un homme riche qui est déjà bien préparé et pourra donner le branle à une compagnie d’actionnaires. » Des offres de concours commencent à se produire, mais aucun de ceux qui les font ne veut subordonner sa pensée et ses projets à ceux de Fourier. D’autres n’offrent que leur personne, entourée d’une nombreuse famille. Un autre a vingt mille hectares au Mexique ; un pharmacien propose son « matériel d’instruments et de drogues ».

Un des rédacteurs du Phalanstère, Baudet-Dulary, avait une propriété à Condé-sur-Vesgre, près de Houdan, à une quinzaine de lieues de Paris. Il consentit à la consacrer à l’essai projeté, mais il entendait ne pas adopter tous les plans du maître. Aussi ne fut-ce pas sous le nom de phalanstère que fut tentée l’entreprise de réalisation, mais sous celui de « colonie sociétaire ». Le fonds social devait être de 1 200 000 francs. On n’en trouva que 318 000. On commença néanmoins les travaux.

L’établissement devait se composer d’environ six cents personnes, hommes, femmes et enfants associés, dit l’acte de société, pour « l’exploitation agricole et manufacturière d’un terrain. » Mais ce terrain de 412 hectares, dit Villermé qui l’a visité, était « très peu productif et en partie inculte. » Conformément à l’article 3 de l’acte de société, les travaux devaient être organisés « par groupes de travailleurs et par séries de groupes libres, opérant en séances courtes et variées ». L’article 6 stipulait que tous les employés et ouvriers de la colonie devaient être actionnaires, mais l’article 27 ajoutait que des ouvriers pouvaient être admis comme simples salariés jusqu’à ce qu’ils eussent gagné la somme nécessaire à l’achat d’un coupon d’action. Villermé constate qu’il « ne s’en présenta point pour être admis d’une autre manière ».

Le travail était plus offert que le capital. « Les personnes qui se présentèrent pour travailler dans la colonie étaient des ouvriers désœuvrés et paresseux, ou des jeunes gens sortis des collèges et des écoles savantes ; les uns tout à fait étrangers aux travaux manuels, les autres ne connaissant point ou connaissant mal