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poursuites contre ses auteurs, ils montraient la même unanimité à blâmer le ton de cette affiche. D’ailleurs, la bourgeoisie avait un bien autre grief contre les rédacteurs du manifeste, et elle leur reprochait bien moins d’attaquer violemment la Chambre que de s’être élevés contre « l’aristocratie bourgeoise » et d’avoir essayé de donner une doctrine et une direction aux impulsions tumultueuses de la classe ouvrière.

Que disait donc cette affiche ? Elle dénonçait l’égoïsme de la bourgeoisie. Puis elle déclarait que les travailleurs n’échapperaient à la servitude que par l’association. Enfin elle invitait l’État à réorganiser le crédit et à donner le droit de suffrage aux ouvriers. La société des Amis du Peuple se proposait l’examen attentif et réfléchi de ces problèmes, tout en protestant de son respect pour le droit de propriété.

On trouve ici les premiers contours du socialisme démocratique dont, six ans plus tard, Pecqueur, et ensuite Vidal et Louis Blanc, seront l’expression la plus complète. Mais ce schéma devait être singulièrement développé par eux, puisqu’ils allèrent, les deux premiers jusqu’au collectivisme, — il est vrai qu’ils avaient passé l’un par l’école saint-simonienne et l’autre par l’école fouriériste, — et le troisième jusqu’au communisme. Néanmoins, comme le fait fort à propos remarquer M. Georges Weill dans sa remarquable Histoire du parti républicain, « le parti démocratique, sans formuler encore un programme spécial précis, exprimait cette idée, très nouvelle pour la France de 1830, que le sort des prolétaires doit être un des soucis constants du pouvoir ».

Le 28 septembre, les gardes nationaux envahissaient de nouveau le manège Peltier et en interdisaient l’entrée aux membres des Amis du Peuple, brutalisant et violentant ceux qui voulaient résister. Le lendemain, ces incidents furent portés devant la Chambre. Mauguin, parmi les murmures de l’Assemblée, prit la défense des « hommes généreux » qui avaient « établi le gouvernement », et que le gouvernement accusait aujourd’hui de vouloir le renverser. Les ministres reprirent leurs accusations et leurs récriminations contre les clubs. Ils invoquèrent l’émoi que l’agitation parisienne causait en province. Les déclarations de M. Guizot sur ce point soulevèrent les protestations d’un certain nombre de journaux libéraux des départements.

Cette séance consacra législativement ou plutôt gouvernementalement les violences de la garde nationale et achemina le pouvoir vers la suppression du droit de réunion et d’association conquis deux mois auparavant sur les barricades. Tout en protestant de son respect pour ce droit, Dupin le vit violer avec un plaisir non dissimulé : « C’est Paris, dit-il, qui a fermé les clubs ; c’est la force de Paris tout entière qui s’y est opposée ; il n’y a eu qu’à donner protection… » Paris et sa force, c’était la garde nationale, la bourgeoisie armée. Le peuple ne comptait déjà plus. Et, de fait, il ne comptait plus, puisqu’il ne se montrait pas, puisqu’il laissait ses maîtres économiques organiser le pouvoir politique que sa force un instant soulevée avait mis à leur portée. C’est pourtant lui que craignait cette bourgeoisie armée ; un réveil subit de cette plèbe qui venait d’emporter un trône était à craindre tant que