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récompense ainsi leurs services, quelle que soit leur nature. Une « bayadère » qui a plu aux hommes y a autant de droits qu’un savant qui les a enrichis d’une découverte : à ceux qu’elle a réjouis de se réunir et de lui voter la récompense de ses services amoureux. Un ambitieux aspire au rang suprême : qu’il le conquière dans l’ordre des travaux où il est le plus porté à exceller. Si ceux qui ont profité de ses travaux veulent lui payer ses services en lui donnant un titre de césar, de calife ou d’empereur, c’est leur droit.

Car la phalange n’est pas un univers qui se suffit à lui-même, sans communication avec le reste du monde. Toutes les phalanges sont associées sur le globe, pour son exploitation rationnelle. Elles lèvent des armées qui entrent en lutte les unes contre les autres, non pour s’exterminer, mais pour défricher des landes, assainir des marécages, conquérir des déserts à la culture, reboiser des montagnes. C’est l’harmonie universelle dans l’infinie variété des efforts, dans la multiple combinaison des associations pour chacun des gestes de l’homme, pour exprimer chacun de ses désirs et satisfaire chacun de ses besoins.

Comment amener les hommes à se réunir ainsi selon les lois de l’attraction passionnée ? En leur disant les beautés du monde d’harmonie. C’est à quoi Fourier ne manque pas, entrant dans les plus minutieux détails et poussant jusqu’au délire logique les conséquences de ses prémisses. C’est ainsi qu’il partira de cette idée très juste que les travaux publics ont une influence sur la climature, un sol reboisé et irrigué pouvant nourrir des milliers d’hommes au lieu d’être pour eux un désert qu’ils traversent à la hâte ; puis, emporté jusqu’aux extrêmes divagations, il imaginera la salure marine transformée en une limonade agréable au goût. Los hommes peuvent créer des variétés de plantes et d’animaux, même des races nouvelles. En harmonie, surgiront, de l’univers transformé, des anti-lions et des anti-baleines que l’homme utilisera pour se transporter rapidement par terre et par mer.

Fourier, ici, montre bien peu de confiance dans les chemins de fer et les bateaux à vapeur. Cependant, il revendique l’invention des chemins de fer, mais il ne le fait qu’en 1835. « À l’âge de vingt ans, dit-il (donc en 1792), j’avais inventé le chemin de fer avec câbles remorqueurs et détenteurs sur les points culminants… J’en parlai à de beaux esprits qui se disaient capables, et qui me prouvèrent… que cette innovation ne serait d’aucune valeur, que les frais excéderaient de beaucoup les économies. On n’est pas aujourd’hui de cet avis ; car on ne rêve plus que chemins de fer, folie qui succède à d’autres ». Et lorsqu’en 1833 on lui en montre « un petit échantillon aux Champs-Élysées, » il s’écrie : « Ce n’est que ça. Il y a quarante-trois ans que je l’ai inventé ».

Il en est de même pour Paris port de mer. « S’il s’agit de quelque folie, dit-il on trouve des capitaux par cent millions. N’a-t-on pas proposé récemment aux Français la folle entreprise d’amener des vaisseaux à Paris ? » Voilà ce que Fourier écrit en 1829. Or, en 1822, il regrette que Louis XIV ait bâti « le triste Versailles » au lieu de construire « à Poissy une ville d’architecture composée, avec un port à