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de durer avec la Chambre telle qu’elle était composée. Un grand débat, lors du budget, s’était élevé sur l’emploi des fonds secrets, et l’infériorité manifeste du cabinet s’était étalée en pleine lumière. Dédaignant de le combattre, c’était par dessus sa tête que Thiers, Guizot, Odilon Barrot et Lamartine s’étaient heurtés, les trois premiers pour poser leur candidature au gouvernement devant la Chambre, l’opinion et le roi, le quatrième pour exprimer un libéralisme croissant qui allait bientôt aller jusqu’à l’affirmation républicaine.

La session parlementaire finit le 15 juillet. Le 3 octobre, le comte Molé obtenait de Louis-Philippe un décret de dissolution. Le 24 du même mois, en pleine bataille électorale, on apprit la prise de Constantine. Le ministère tenta d’utiliser cette victoire, mais elle n’eut aucun résultat sur les élections, et le comte Molé vit revenir au Palais-Bourbon le même contingent législatif qui lui avait interdit toute initiative, tout mouvement, sous peine de chute, depuis son arrivée au pouvoir.

La France, nous le savons, n’était alors que trop sensible à la gloire militaire. Comment donc se fait-il que la prise de Constantine, objet de plusieurs tentatives, dont une avait été désastreuse, l’ait laissée aussi froide ? Tout simplement parce que la conquête de l’Algérie apparaissait comme un dérivatif, comme un moyen politique de tromper la faim belliqueuse d’une nation qui ne pensait qu’aux traités de 1815 et à ce qu’ils lui avaient fait perdre. C’était sur le Rhin, et non dans les ravins escarpés du Rummel, qu’on eût voulu la victoire des trois couleurs.

La froideur publique s’était attestée dans l’attitude de la Chambre au mois de février précédent, lors de la discussion du budget. Baude avait violemment attaqué les actes de Clauzel, redevenu gouverneur de l’Algérie en 1835, sans pouvoir passionner ni ses collègues ni l’opinion. Pourtant, il dénonçait ce qui devait être si souvent depuis porté à la tribune : il accusait l’ancien gouverneur, présent à la discussion, d’avoir rançonné les Kouloughlis, nos alliés, d’une forte contribution. Clauzel s’était facilement débarrassé de son accusateur en déclarant qu’il n’avait fait que se conformer aux usages de l’Orient.

La prise de Constantine avait été l’idée fixe de Clauzel. Mais s’il avait conservé intacte sa façade de hâblerie, il n’en était pas de même des qualités militaires qui naguère l’avaient distingué ; l’entrain, qui est la première de toutes, était parti avec la vigueur des jeunes années. L’expédition de Constantine, préparée par lui, avait tourné à sa confusion. Il en avait accusé les intempéries exceptionnelles d’un climat inégal, et de fait elles avaient été pour beaucoup dans le grave échec subi par nos troupes. Mais s’il avait vaincu, ne les eût-il pas comptées pour grandir son succès de toutes les difficultés surmontées ? Et c’est surtout à la guerre que la réussite est tout. Tant pis pour le général qui n’a pas su prévoir le mauvais temps.

Les attaques de Baude firent planer une soupçon sur la probité du gouverneur militaire de l’Algérie. Ce soupçon n’était pas justifié, et c’était aux besoins de son armée qu’il employa les sommes prélevées sur nos alliés en échange du secours qu’il leur apportait. Le montant n’en avait pas été débattu, et les Français s’étaient