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dire, comme il arrive si souvent. Qu’eût-il pu dire aux Chambres, d’ailleurs, sinon qu’il s’inspirerait de la politique personnelle du roi et s’attacherait à exécuter ponctuellement ses volontés autant que le permettrait l’ardente compétition de Thiers et de Guizot ?

Le mariage du duc d’Orléans qui devait perpétuer la dynastie nouvelle, une dynastie de monarques in partibus, fut l’occasion d’une amnistie générale, votée le 8 mai par les Chambres. Elle ouvrit à Blanqui les portes de la maison centrale de Fontevrault, où sa jeune femme s’était fixée avec l’enfant qui leur restait. Mais dans leur générosité qui tente de s’égaler au don de joyeux avènement des temps jadis, les vainqueurs ont le geste étriqué et font les choses à demi : Blanqui ne sera plus prisonnier à Fontevrault, il sera interné à Pontoise avec surveillance.

C’est le moment où respire un instant, avant de reprendre la lutte, le chef de la révolution armée, celui qui donne à la république sa signification sociale. La vie et l’amour l’ont repris, va-t-il comme les autres hommes accepter sa part de bonheur ? Gustave Geffroy nous le montre à Jancy, au bord de l’Oise, « cette mise en pénitence politique » étant devenue « la période de lune de miel du jeune ménage ».

Cet amour « installé dans la verdure sous l’injonction de la loi » s’abrite dans une « maison de campagne, entourée d’un jardin qui descend en pente douce vers la rivière ». Blanqui va-t-il endormir sa haine des puissants dans l’amour de sa femme et de son fils, oublier la misère du prolétariat dans le bonheur de « la maison à perron et à volets verts des villégiatures parisiennes », se laisser prendre tout entier par « la pelouse et l’arbrisseau, les plantes grimpantes et les fleurs de parterre » de ce modeste refuge bourgeois ? Va-t-il jouir du printemps et promener sa quiétude « au long de l’eau jusqu’au confluent de la Seine et jusqu’à la forêt de l’Ile-Adam, par les champs jusqu’aux bois de Beauchamp et leurs désertes clairières de pierres plates et de bruyères roses, jusqu’au profond de la forêt de Montmorency ? » Le printemps, certes, il en jouira de tous ses pores d’amoureux et de poète ; oui, de poète ; car tout révolutionnaire de pensée ou d’action, et Blanqui fut l’un et l’autre, est un poète qui exprime sur le plan social son besoin d’harmonie.

Mais le printemps ne sera pas seulement un objet de délectation personnelle pour lui. L’intrusion policière a dissous les Familles : c’est aux états changeants de la nature que le conspirateur demandera le cadre nouveau où doivent se grouper les fervents de l’avenir meilleur, et les Saisons succéderont aux Familles. Les Saisons seront divisées en trois Mois commandés par un Juillet, les Mois en quatre Semaines, et la Semaine formée de six membres que commandera un Dimanche. Ces promenades de Blanqui sont des exercices stratégiques, où les carrefours ombreux représentent les points propices aux barricades. Et quand sa prison de verdure et de parfums s’élargira, le plan de campagne sera prêt pour les futurs assauts.

Mais laissons Blanqui à ses rêves et à ses projets, et revenons à la réalité, au gouvernement. Si peu qu’il ose gouverner, le comte Molé est bien forcé de faire