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encore du chant du sacre de Charles X », se mettre « à présent à célébrer l’empereur avec cette hardiesse romantique qui caractérise son génie ».

Louis Blanc avoue que les républicains étaient forcés de « transiger avec des préjugés qu’on déplorait » et de « se laisser porter trop loin par les passions de la masse, pour ne pas les avoir contre soi ». Mais si les républicains ne résistaient pas assez aux courants populaires et si les bonapartistes, au dire de M. Thureau-Dangin, purent « gagner l’appui plus ou moins ouvert d’une feuille de gauche, alors dirigée par M. Mauguin », jamais il n’y eut entente, action concertée entre les deux partis, et c’est en vain que les agents bonapartistes cherchèrent des alliés dans les sociétés secrètes.

Comment le jeune étranger qu’était Louis-Napoléon, fort attentif à ce qui se passait en France, surtout depuis la mort du duc de Reichstadt, aurait-il ignoré ce que voyait avec tant de netteté Heine, autre jeune étranger ? Il n’était pas nécessaire d’être poète, d’avoir du génie et d’avoir vécu quelques mois à Paris pour connaître la puissance qui était contenue dans le nom de Napoléon. À défaut de génie, le neveu du grand homme avait de la perspicacité et de la suite dans les idées. Comme tout cadet princier, et il n’était que cela puisqu’il y avait entre lui et l’héritage éventuel de Napoléon plusieurs ayant-droit directs, il se fit libéral, bien mieux : républicain, s’affilia à la charbonnerie, se fixa en Suisse, pays républicain, et y prit du service dans l’armée en qualité de capitaine d’artillerie.

Prince et démocrate, il n’avait qu’à se montrer pour voir accourir à lui tous les survivants de l’épopée et tous les dévots de la légende. Son entreprise n’était donc ni si stupide ni si aventureuse.

Dans l’armée, qui s’ennuyait de la longue inaction de la caserne, la légende était plus vivace encore que dans la nation. Persigny, le compagnon et l’ami du prétendant, n’eut pas de peine à y recruter les éléments d’une conspiration, qui fut d’autant plus ignorée que le milieu militaire formait, et forme encore, une société fermée dans la société. À la tête du 4e régiment d’artillerie, à Strasbourg, se trouvait le colonel Vaudrey, fervent bonapartiste. Il fut la cheville ouvrière de la conspiration, s’occupa activement de recruter des adhérents et de préparer les esprits. Et le matin du 30 octobre, à cinq heures, le prétendant se présentait à la caserne d’Austerlitz en uniforme de général, et les artilleurs se mettaient en marche, suivis des pontonniers, au son de la musique militaire et aux cris de : vive l’empereur ! vers les autres casernes pour entraîner les troupes.

Mais la foule que l’on voulait soulever était absente à cette heure matinale. Il n’y avait guère d’éveillés que les soldats. Le général Voirol, sollicité d’adhérer au mouvement, refuse. On le fait prisonnier. Louis Bonaparte trouve la troupe divisée. Le bruit s’est répandu qu’il n’est pas un Napoléon, mais le neveu de Vaudrey. Un grand nombre d’officiers ne veulent pas jouer leur carrière et leur vie sur un coup aussi hasardeux et rappellent leurs hommes au devoir. On se querelle, on se prend au collet. Persigny, voyant l’affaire manquée, s’enfuit. Délivré, le général Voirol fait arrêter le prince et ses complices.