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aujourd’hui le socialisme international et que La Fayette affirmait, un an avant sa mort, en applaudissant à l’ « idée d’un journal étranger qui formerait un lien de plus et un nouveau moyen d’information entre les peuples européens ? »

« Ce n’est donc, disait-il, qu’à la confraternité des peuples, à leurs sympathies mutuelles, à leur conviction que tout ce que gagne une nation est un profit pour les autres, que nous devrons une sorte de diplomatie populaire, exempte de préjugés, pleine de bons vouloirs et supérieure aux routines et aux intrigues des cabinets ».

Et, sentant tout le mal que faisait à cette cause l’orgueilleux chauvinisme des républicains français, La Fayette insistait sur la nécessité « de réaliser des idées saines et de franches explications », surtout « entre l’opinion allemande et l’opinion française. » Il s’élevait avec une rare clairvoyance, alors partagée par bien peu de républicains, parmi lesquels il faut compter Raspail, contre les « erreurs patriotiques qui ne sont aujourd’hui que des anachronismes, retardent cette entière et affectueuse confiance dont nous avons mutuellement besoin. »

En demandant l’expulsion des membres de la Jeune Europe, Metternich prouvait qu’il craignait beaucoup moins les conspirateurs que les organisateurs et les propagandistes de l’internationalisme républicain. Mais cette association ne donnait aucune prise, et le gouvernement fédéral ne pouvait violer ses propres lois et mettre hors du droit commun des étrangers qui ne faisaient rien pour troubler ses bons rapports avec les puissances. Thiers, cependant, se chargea de l’opération, ayant pris au préalable des mesures occultes dont le résultat devait justifier son attitude.

Il invita le gouvernement fédéral à expulser de Suisse les membres de la Jeune Europe qui s’y étaient fixés. De Berne, on lui répondit en demandant si la France donnerait en ce cas l’hospitalité aux réfugiés. Le gouvernement français riposta par une note comminatoire qui souleva l’indignation publique dans toute la Suisse. La diète helvétique s’assembla, et pour se donner l’apparence d’avoir sauvegardé ses droits tout en donnant satisfaction aux réclamations de la France, elle vota que les réfugiés seraient expulsés s’ils avaient violé la neutralité suisse et compromis sa sécurité.

Ce vote fut accueilli par une explosion de colère surtout dans les cantons de Vaud et de Genève. Mais, il avait force de loi et aussitôt M. de Montebello, notre ministre à Berne, s’en empara pour demander l’expulsion d’un individu nommé Conseil et représenté comme un complice de Fieschi. Sur ces entrefaites, Thiers était tombé du pouvoir et c’est le comte Molé qui fit inconsciemment jouer la machine policière montée de toutes pièces par son astucieux prédécesseur. Conseil, en effet, n’était pas un complice de Fieschi, mais de Thiers, un agent provocateur chargé par celui-ci de recruter en Suisse, parmi les membres de la Jeune Europe, des adhérents pour la société des Familles. La police trouva chez Conseil des listes qui permirent au gouvernement helvétique de faire des expulsions nombreuses. Mazzini, notamment, fut au nombre des expulsés.