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être des volontaires pris dans les régiments, le roi pensait que jamais on ne pourrait atteindre ce chiffre. Les régiments des garnisons de la frontière répondirent en masse, contrairement à son espérance, et le contingent français s’organisa.

Louis-Philippe, alors, chercha le moyen de se dérober à l’exécution de ses promesses. Pour cela, il lui fallait se débarrasser de Thiers. L’occasion lui fut fournie par une révolte militaire, un pronunciamiento, qui, le 12 août, chassait Isturiz du pouvoir et imposait à la régente un ministère libéral présidé par Calatrava. Pas plus que le roi, Thiers n’entendait donner son appui à ce coup de force, et le prétexte à non-intervention était bon désormais. On ne pouvait en effet aller soutenir en Espagne ce que l’on combattait en France.

Mais les volontaires français s’étaient réunis à Pampelune, et de là le général Lebeau leur avait adressé un ordre du jour enthousiaste. Dès qu’il fut connu en France, le roi fit désavouer cet ordre du jour dans le Moniteur et voulut prononcer la dissolution du contingent français. Thiers voulait au contraire le maintenir en observation, et tenir ainsi en partie les engagements pris vis-à-vis de l’Angleterre en même temps que donner une satisfaction partielle à l’opinion. Mais l’entêté monarque avait senti passer le vent de la révolution dans l’enthousiasme des soldats français pour la cause du libéralisme espagnol. Il refusa de céder et Thiers dut s’en aller.

Le 6 septembre, Molé acceptait la présidence du Conseil et les Affaires étrangères, avec Guizot à l’Instruction publique. C’est dire que Louis-Philippe reprenait dans sa plénitude la direction de la politique extérieure, sans partage et même sans discussion.

Pour ses débuts, le nouveau ministère se trouva aux prises avec des embarras qui étaient un honteux reliquat de la politique extérieure de Thiers et de la manie policière qu’il avait portée dans cette matière délicate. Metternich, dans le courant de 1836, avait invité Thiers à demander au gouvernement helvétique l’expulsion des républicains et des patriotes des nationalités opprimées. La Suisse, terre d’asile pour les proscrits, serait mise en demeure de leur faire passer ses frontières. Thiers ne demandait pas mieux, mais il fallait un prétexte.

La Suisse était-elle un foyer de conspiration où les patriotes des pays opprimés par l’Autriche et la Russie préparaient des mouvements insurrectionnels ? L’échec de la Jeune Italie dit assez que les révolutionnaires qui essayèrent d’envahir la Savoie n’avaient trouvé nul secours en Suisse, bien qu’une de leurs colonnes fût partie de Genève. Mais une association s’était formée sous le nom de la Jeune Europe entre tous les partisans des nationalités opprimées. Pas plus que la Jeune Italie, la Jeune Europe n’acceptait la direction du carbonarisme, qu’elle accusait de rêver l’unité universelle sous la domination de la France.

La Jeune Europe était beaucoup plus une association de propagande qu’un groupe d’action. Son principe fondamental était la fédération des nationalités, s’entr’aidant mutuellement à conquérir l’indépendance vis-à-vis de l’étranger et à se donner la liberté intérieure. Elle tendait donc au but que poursuit encore