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On voit que l’intervention réclamée de nous par Palmerston était peu de chose. Si peu que ce fût, c’était encore trop pour Louis-Philippe, qui refusa de mettre sur la frontière espagnole un cordon de troupes. Après une courte résistance, Thiers céda aux volontés du roi, car il faisait alors la cour à Metternich et entendait lui prouver qu’un parvenu du libéralisme savait, tout comme un diplomate de l’école de Vienne, laisser toutes ses chances à un prétendant dont la victoire pouvait sanctionner la légitimité. Cette politique de non-intervention, qui permettait à la fois aux libéraux et aux absolutistes espagnols de recevoir des secours par la frontière française, flattait d’ailleurs l’altière politique de Mendizabal, qui se faisait fort de réduire le carlisme avec ses seules ressources. Ce ministre donnait ainsi satisfaction à l’ombrageux patriotisme d’un peuple qui avait toujours souffert impatiemment l’immixtion des étrangers dans ses affaires.

L’Espagne des moines et de l’Inquisition était toute pour don Carlos. Mendizabal entreprit hardiment de faire payer aux moines les frais de la guerre qu’ils attisaient, et se mit à vendre les biens des couvents. Les opérations militaires vigoureusement poussées donnaient l’avantage aux troupes constitutionnelles. Les carlistes se vengeaient de leurs défaites en commettant mille atrocités, auxquels les christinos répondirent par des atrocités égales. Les deux partis massacraient leurs prisonniers par centaines, les femmes elles-mêmes n’étaient pas épargnées. Encore affaibli par la perte de Zumalacarreguy, son meilleur chef militaire, le carlisme combattit avec la fureur du désespoir ; le fanatisme aidant, l’horreur des massacres fut portée au comble. On eût dit que la malheureuse Espagne était résolue à vider ses veines de leur dernière goutte de sang.

Ce fut le moment que choisit une intrigue de cour pour renverser Mendizabal du pouvoir. Isturiz, qui le remplaça le 17 mai 1836, fit appel à l’intervention française, non pour l’aider à terminer une guerre au résultat incertain, mais pour réduire, au moyen d’une gendarmerie internationale, l’odieux brigandage des bandes carlistes. Il était devenu inadmissible, en effet, que les nations de l’Europe occidentale, libérées au moins formellement des liens de la Sainte-Alliance, pussent supporter avec impassibilité la démence sanguinaire qui emportait les Espagnols dans son affreux vertige.

D’autre part, la cruauté carliste déconcertait, démoralisait, paralysait les partisans du régime établi. La couronne que le prétendant n’avait pu obtenir par les combats, les assassinats et les tortures allaient-ils la lui donner. La reine régente s’adressa alors directement à la reine Marie-Amélie, offrit la jeune reine Isabelle, qui avait six ans, au duc d’Aumale, qui en avait quatorze. En même temps que sa famille pressait le roi d’intervenir, Thiers, poussé par le ministre anglais, revenait à l’idée d’une intervention et joignait ses instance à celles de la reine.

Une légion étrangère de douze mille hommes était formée par le gouvernement espagnol. Louis-Philippe accepta que neuf mille soldats français en fissent partie et que le général Bugeaud les commandât. Comme ces soldats devaient