Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/303

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dernier était chargé de porter à mesure la poudre dans une maison de la rue Dauphine, où d’autres conspirateurs fondaient les balles et faisaient les cartouches. Blanqui, arrêté chez Barbès, reprend son portefeuille que le commissaire a saisi, en tire des papiers qu’il avale précipitamment, malgré les efforts des policiers, qui lui arrachent néanmoins un feuillet contenant une liste d’adhérents aux Familles. Une autre liste trouvée dans les papiers de Barbès complète la fournée qui va comparaître devant les juges de Louis-Philippe. Vingt-quatre condamnations sont prononcées contre Blanqui, Barbès, Martin-Bernard et le groupe d’étudiants et d’ouvriers qui les ont suivis.

Mais voyons quel usage Thiers fit du pouvoir dès qu’il y fut installé. Il commença par laisser effacer en fait de la carte de l’Europe le dernier lambeau de la Pologne. Les traités de 1815 avaient stipulé que la ville de Cracovie et ses environs immédiats constituerait un État indépendant. Cette solution avait été adoptée à cause de la rivalité du roi de Prusse et des empereurs d’Autriche et de Russie, qui prétendaient tous trois à la possession du territoire cracovien. Mais après l’insurrection polonaise de 1830, ce territoire était devenu le refuge des vaincus. Accuser les magistrats cracoviens de faire de leur ville un foyer d’agitation, c’était l’enfance de l’art. Metternich n’y manqua pas, et il délivra la Russie de ce péril en mettant la main sur Cracovie, occupée par les troupes autrichiennes. L’opinion libérale eut beau s’agiter, en France et en Angleterre. Thiers modela son attitude sur celle du ministère anglais, il ne bougea point. Il ne pouvait rien d’ailleurs. Les trois puissances du Nord étaient d’accord pour confier la garde de Cracovie à l’Autriche. Plus tard le roi de Prusse et surtout le tzar devaient donner définitivement Cracovie à l’Autriche plutôt que de la voir devenir le centre de la vie polonaise, encore frémissante et prête à se réveiller dans les provinces qu’ils s’étaient attribuées.

Le gouvernement français venait d’assister impuissant à la disparition du dernier vestige de la nationalité polonaise, il allait faire défaut au libéralisme à l’autre extrémité de l’Europe. Mais, ici, ce ne fut pas impuissance ; il y eut mauvaise volonté, et, il faut le dire, la faute principale ne fut pas à Thiers, car, répétons-le, jamais Louis-Philippe ne laissa à aucun de ses ministres la direction des affaires extérieures.

La défaite de l’absolutisme au Portugal et l’avènement de la jeune reine Isabelle en Espagne avaient décidé la France et l’Angleterre à conclure un traité avec ces deux pays pour y assurer l’existence du régime constitutionnel. Nous avons dit dans un précédent chapitre que don Carlos, frère du roi Ferdinand VII, avait soulevé quelques provinces au nom du droit divin et de la loi salique. Le chef du Foreign Office, Palmerston, demanda au gouvernement français, en vertu de la Quadruple Alliance, de s’opposer aux progrès du carlisme en fermant le passage de la frontière pyrénéenne aux armes, aux munitions et aux partisans du prétendant, et en empêchant les bandes insurgées de chercher un refuge sur le territoire français.