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« Des individus se sont emparés par ruse ou par violence de la terre commune et s’en déclarent les possesseurs. Ils ont établi pair des lois qu’elle serait à jamais leur propriété, et que leur droit de propriété deviendrait la base de la constitution sociale, c’est-à-dire qu’il primerait et au besoin qu’il pourrait absorber tous les droits humains, même celui de vivre, création de la nature, s’il avait le malheur de se trouver en conflit avec le privilège, propriété du petit nombre.

« Ce droit de propriété s’est étendu par déduction logique du sol à d’autres instruments, produits accumulés du travail et qu’on appelle capitaux. Or, comme les capitaux, stériles d’eux-mêmes, ne fructifient que par la main-d’œuvre et que, d’un autre côté, ils sont nécessairement la matière première mise en œuvre par les forces sociales, la majorité, exclue de leur possession, se trouve condamnée aux travaux forcés au profit de la minorité possédante ».

Le duel est donc entre les travailleurs et les parasites. Mais l’issue n’en peut être douteuse :

«… Le droit de propriété décline, dit Blanqui. Les esprits généreux prophétisent et appellent sa chute. Le principe essénien de l’égalité le mine lentement depuis des siècles par l’abolition successive des servitudes qui formaient les assises de sa puissance. Il disparaîtra un jour avec les derniers privilèges qui lui servent de refuge et de réduit. Le présent et le passé nous garantissent ce dénouement, car l’humanité n’est jamais stationnaire : elle avance ou recule. La marche progressive la conduit à l’égalité, sa marche rétrograde remonte par tous les degrés du privilège jusqu’à l’esclavage personnel, dernier mot du droit de propriété.

«… Disons tout de suite que l’égalité n’est pas le partage agraire. Le morcellement infini de sol ne changerait rien, dans le fond, au droit de propriété. La richesse provenant de la possession de l’instrument de travail plutôt que du travail lui-même, ce génie de l’exploitation resté debout saurait bientôt, par la reconstitution des grandes fortunes, restaurer l’inégalité sociale.

« L’association substituée à la propriété individuelle fondera seule le règne de la justice par l’égalité ».

Quelle différence avec Barbès, esprit tout en surface, héroïsme tout en dehors. Barbès aime la République, la Liberté et l’Égalité d’un amour tout mystique et imprécis. Ce qu’il aime surtout, c’est l’action et le péril. Il conspire comme on respire, par besoin de dépenser sans compter l’exubérance d’un naturel généreux et indiscipliné. Il est pour la discipline parce qu’il est un chef. Il ne peut-être qu’un chef, d’ailleurs. C’est un paladin égaré dans un monde d’industriels et de commerçants. Il venge les griefs des opprimés, mais il ne sent pas aussi profondément que Blanqui leur souffrance, et il croit que la République suffira pour guérir tous les maux.

Un matin de mars, guidée par une dénonciation, la police découvrait, rue de Lourcine, une fabrique clandestine de poudre. Trois ou quatre hommes y travaillaient assidûment sous la surveillance de Blanqui et de Martin-Bernard. Ce